— Saint Gabriel Lalemant –
Paul-Émile Vignola
Le père Jean de Brébeuf, on s’en souviendra, avait un compagnon quand il fut conduit
au lieu de son martyre, le père Gabriel Lalemant. Neveu des pères Charles et
Jérôme Lalemant, eux aussi missionnaires en Nouvelle France, il n’œuvrait que
depuis six mois au pays des Hurons. Le père Ragueneau, son supérieur, résume sa
vie en ces mots : « Il naquit à Paris le 3e d’octobre de l’année 1610. Il entra
en notre Compagnie le 24e de mars de l’année 1630. Il y est mort dans le lit de
gloire, le 17e de mars de la présente année 1649. Les Hurons l’appelaient
Atironta ».
Après
son noviciat, le père Gabriel avait enseigné dans divers collèges jésuites ; il
reçut sa formation théologique, fut ordonné prêtre et retourna dans
l’enseignement. À partir de 1642, il manifeste un vif désir d’être envoyé au
Canada. Il dut patienter jusqu’en 1646. Au terme d’une longue et pénible
traversée de l’Atlantique, on le retint près de Québec ; on l’affecta à la
mission de Sillery auprès des Hurons chrétiens. Son oncle, le père Jérôme
Lalemant, alors supérieur général au Canada, jugeait qu’il fallait donner le temps
de s’acclimater à ce nouveau venu de santé fort délicate. L’ursuline Marie de
l’Incarnation note à son propos : « C’était l’homme le plus faible et le plus
délicat qu’on pût voir ».
En 1648, le père Gabriel voit enfin ses
vœux exaucés : il part pour la mission des Hurons, un pays en guerre avec les
Iroquois, constamment assailli, harcelé par des ennemis sournois qu’un
missionnaire décrit comme suit : « ils arrivaient comme des renards, se
battaient comme des lions et fuyaient comme des oiseaux ». Nommé adjoint du
père de Brébeuf, le père Gabriel se mit à l’étude de la langue huronne ; avec
un maître comme Brébeuf et grâce à sa vive intelligence, il fit des progrès
remarquables de sorte qu’il put bientôt s’adonner aux travaux de l’apostolat.
Il y connut d’heureuses consolations car, le vent ayant tourné depuis les
débuts héroïques des pères Jogues et Brébeuf, les conversions s’opéraient en
grand nombre et avec facilité.
Le 16
mars 1649, un millier d’Iroquois vinrent attaquer les villages de Saint-Ignace et
de Saint-Louis où se trouvaient les deux jésuites. Des rescapés de Saint-Ignace
ayant averti les gens de Saint-Louis, les religieux firent évacuer les lieux et
sauvèrent ainsi de nombreuses vies. Ils restèrent sur place avec les malades et
vieillards incapables de fuir et une centaine de braves guerriers. Même si les
premiers assauts furent repoussés, la supériorité numérique des assaillants ne
pouvait être contenue. Les missionnaires furent capturés avec les derniers
défenseurs. Pratiquement mis à nu, on leur arracha les ongles puis on les
entraîna dans la neige vers les ruines de Saint-Ignace à trois milles de là.
Les
tortionnaires s’acharnèrent d’abord pendant trois heures sur le père de Brébeuf
qui, doté d’une forte constitution, « souffrait comme un rocher». Le père
Lalemant était gardé à l’écart ; on l’avait enveloppé d’écorces de résineux
auxquelles on allait mettre le feu quand on l’entraîna auprès de son confrère à
l’agonie ; on s’attendait de voir fondre le courage de ce prisonnier aux
membres frêles et délicats. Devant les horribles blessures du mourant, il se
prit à frémir, mais la grâce l’habitait ; il parvint à encourager le supplicié
en lui rappelant un mot de saint Paul : « Mon Père, voilà que nous sommes
donnés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes » (1 Co 4, 9). Le
mourant répondit en inclinant la tête et le père Gabriel, libre de ses
mouvements pour quelques instants, se laissa tomber aux pieds du héros et baisa
ses plaies.
Rendus
furieux par cette réaction, les Iroquois ramènent le père Lalemant à son poteau
et mettent le feu aux écorces. La fumée faillit bien l’asphyxier, mais le feu
ayant brûlé ses liens, il leva les mains vers le ciel dans une attitude de
prière. Par dérision pour le sacrement de l’initiation chrétienne, on le «
baptisa » alors d’eau bouillante. Le supplice du missionnaire s’étala sur
dix-sept heures. Le cœur manque à suivre dans les Relations des Jésuites le
détail des tortures infligées à un homme si fragile. Quand la nuit tomba, les
bourreaux fatigués allèrent se reposer. Mais on l’abandonna aux caprices et
fantaisies d’adolescents qui pouvaient le torturer pourvu qu’ils le gardent en
vie… Au lever du jour, quand on le ramena à son poteau, il trouva la force de
s’agenouiller et de baiser cette « croix ». La grande torture recommença, aussi
implacable que la veille. Vers neuf heures du matin, un coup de hache fracassa
le crâne du martyr.
Trois
jours plus tard, soit le 20 mars, un jésuite accompagné d’une dizaine de
soldats parvint aux villages dévastés et abandonnés par les envahisseurs. Le
sol était couvert de cadavres. On trouva les corps des missionnaires. Les deux
cœurs manquaient : les Iroquois les avaient dévorés pour acquérir la vaillance
de leurs victimes.
Comment
un homme si frêle a-t-il pu fatiguer, voire épuiser, ses bourreaux ?
Humainement, c’est impossible. Mais la promesse de Jésus à ses Apôtres trouva
sa pleine réalisation chez saint Gabriel Lalemant : « Vous allez recevoir
une force, celle du Saint Esprit qui descendra sur vous. Vous serez alors mes
témoins à Jérusalem… et jusqu’aux confins de la terre » (Ac 1, 8). Né à
Paris, notre héros porta l’Évangile aux limites du monde alors connu, soit sur
les rives du lac Huron. « Il est mort en la cause de Dieu, et a trouvé en ce
pays la croix de Jésus Christ, qu’il cherchait, dont il a porté dessus soi les
marques bien sanglantes » écrivit de lui le père Ragueneau.
N’allons pas penser que ce héros le devint par hasard. Le père Ragueneau rapporte : « Il y avait plusieurs années qu’il demandait à Dieu, avec des larmes et des soupirs, d’être envoyé en cette mission du bout du monde, nonobstant sa complexion très délicate, et que son corps n’eût point la force, sinon ce que l’Esprit de Dieu et le désir de souffrir pour son nom pouvaient lui en donner ». Le chroniqueur cite également un texte de la main du valeureux martyr qui s’adresse au Christ et ne laisse aucun doute sur sa motivation profonde : « Il faut que votre nom soit adoré, que votre royaume soit étendu par toutes les nations du monde, et que je consomme ma vie pour retirer des mains de Satan, votre ennemi, ces pauvres âmes qui vous ont coûté et votre sang et votre vie ».
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Selon Sa Parole novembre-décembre vol. 27 numéro 5
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