Au cours du Congrès des mouvements ecclésiaux
et nouvelles communautés (27/29 mai 98) qui a précédé
la grande rencontre de vigile de Pentecôte où le
Saint-Père avait invité tous les mouvements à
se rassembler (cf. liste p. 13), vous êtes intervenu sur
le thème: les mouvements, lieux d'une humanité transfigurée.
Qu'entendez-vous par là?
Une des caractéristiques communes
à tous les mouvement ecclésiaux est d'amener leurs
membres à une rencontre personnelle avec le Christ, source
de vie nouvelle. Cette rencontre a un retentissement sur la personne
et se perçoit jusque sur son visage. Comme le dit le psaume
34,6, "Qui regarde vers lui resplendira!" Cette rencontre
conduit à une transformation de la personne et de sa vie
qui s'origine dans un certain nombre de réalités
du mystère du salut. Le baptême et les sacrements
sont redécouverts comme sources de grâces, la rencontre
du Christ fait désirer la rencontre des frères et
reconnaître en tout homme l'image de Dieu... Cette vie nouvelle
se traduit également par le désir de vivre plus
profondément l'Évangile.
L'humanité transfigurée passe par la croix, la croix
du Christ d'abord puisque la Transfiguration du Seigneur au mont
Thabor est le commencement de "son exode" vers sa Pâque.
D'autre part, nos propres épreuves vous rendent plus sensibles
au mystère du mal dans le monde et plus compatissants à
l'égard de ceux qui en subissent les conséquences,
ceux qui sont meurtris, blessés...
Cette transfiguration nous est donnée par le Saint-Esprit.
C'est lui qui nous attire au Christ et nous donne de rayonner
de sa vie.
- Dans la semaine qui précédait la Pentecôte
et la rencontre du pape avec les mouvements et nouvelles communautés,
est sorti votre dernier livre intitulé Rendez témoignage.
Le Renouveau charismatique catholique. Pourquoi un tel livre au
moment où le Renouveau dans l'Esprit est de plus en plus
reconnu comme un mouvement important dans l'Église?
Ce livre, préfacé par le cardinal Lustiger, est
une réflexion théologique et pastorale sur le Renouveau
charismatique, situé, à partir des textes de l'Église,
dans la floraison des mouvements et communautés nouvelles
qui ont accompagné le concile Vatican II. J'y ai ajouté
tous les documents des papes Paul VI et Jean-Paul II concernant
le Renouveau.
A la suite de Paul VI, le pape Jean-Paul a vu dans "l'émergence
du renouveau qui a suivi le concile Vatican II un don spécial
de l'Esprit Saint à l'Église" (Jean-Paul II,
14 mars 1992).
Le coeur du livre est de montrer qu'aux sources du Renouveau se
trouve l'appel universel à la sainteté, non pas
d'abord comme une ascèse morale mais comme une appartenance
totale à Dieu de tout son coeur et de toute sa personne.
- En quoi une telle réflexion théologique est-elle
nécessaire aujourd'hui?
La réflexion vise à mieux comprendre la nature de
l'expérience vécue dans le Renouveau et à
voir comment elle s'insère dans la Tradition catholique.
Une meilleure compréhension permet aussi une plus grande
docilité à la grâce de Dieu.
L'expérience fondamentale du Renouveau est l'effusion de
l'Esprit. Elle se traduit par une rencontre vivante du Christ
Seigneur, une expérience concrète de la compassion
et de l'amour du Père, un goût renouvelé de
l'Écriture. Elle fait redécouvrir la prière,
la louange, la nécessité de l'évangélisation...
Même si chacun vit différemment cette expérience,
on constate que tous ont le sentiment qu'une lumière nouvelle
s'est levée pour eux. Tous découvrent d'une manière
ou d'une autre, un appel au témoignage du Christ vivant,
à l'exercice des charismes comme mise à la disposition
de l'Esprit saint qui se manifeste pour le bien de tous (cf. 1
Co 12,7). C'est donc cette expérience spirituelle qu'il
fallait comprendre à la lumière de la Tradition
spirituelle de l'Église et par là, donner également
des critères de discernement, car il ne faut pas se fier
à tout esprit...
- L'insistance que l'on fait dans le Renouveau sur l'expérience
ne comporte-t-elle justement pas le danger d'une subjectivité
et d'une affectivité qui s'autoproclament leur propre norme?
Ce danger est réel mais il ne faut pas l'exagérer.
Toute réalité quelle qu'elle soit comporte des dangers
et l'on peut tout détourner de son sens, mais on ne ferait
plus rien à énumérer tous les dangers qu'il
y a à traverser une rue ou à faire chauffer son
café. En toute chose, il est nécessaire de recourir
à la régulation du bon sens et de la mesure. Dans
notre cas, comme dans toutes les réalités spirituelles,
la régulation vient de l'Évangile et de la foi de
l'Église. Il s'agit d'établir des principes objectifs
qui n'éteignent pas l'expérience authentique mais
lui permet de s'approfondir. IL n'y a pas d'oppositions entre
la dimension subjective de toute expérience vraie et son
contenu objectif, au contraire, ils s'appellent l'un l'autre.
Et puis, ne tombons pas dans un autre danger qui serait d'éteindre
les charismes par excès de prudence au moment même
où le pape Jean-Paul II, dans son discours de la veille
de la Pentecôte, nous a encouragés à les exercer.
En réfléchissant sur ce qui se vit dans le Renouveau
depuis des années et sur la Tradition spirituelle de l'Église,
j'ai essayé de donner une grille de lecture ou d'intelligence.
Pour prendre une comparaison, c'est une peu comme si, après
avoir écouté une symphonie, j'avais tenté
d'en faire comprendre la partition pour la rendre accessible au
plus grand nombre...
- Dans votre livre, vous étudiez la question des charismes
et de leur discernement. Quelle est la règle le plus importante
pour aider à discerner les esprits?
Dès qu'il s'agit de manifestations sensibles où
la subjectivité de l'homme a sa part, il est bien évident
que la question du discernement se pose. Ici encore, l'Écriture
et la Tradition de l'Église nous donnent des repères
solides. Le premier d'entre eux, le mystère de l'Incarnation,
est la pierre de touche de la foi: "A ceci reconnaissez l'Esprit
de Dieu: tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans
la chair est Dieu" (1 Jn 4,2). Il faut y ajouter le fruit
de l'Esprit (Ga 5,22-23), en particulier la charité. Tout
ce qui entraîne déviance dans la foi, division ,
trouble, peur, défiguration de l'homme ne vient pas de
l'Esprit Saint. Par ailleurs: "Il peut y avoir de vraies
motions de l'Esprit qui ne sont pas exercées de manière
conforme aux impulsions authentiques de ce même Esprit."
(Christi Fideles Laici no 24).
- En outre ne peut-on pas s'imaginer à tort avoir une motion?
Bien sûr que si. Mais en général, ceux qui
ont un minimum de bon sens et de vie chrétienne s'en aperçoivent
assez vite. Dans quelques cas, c'est plus difficile. C'est pourquoi
l'Église recommande toujours de recourir à l'autorité
compétente. Le grand critère est le fruit, et pour
que des bons fruits apparaissent, il faut du temps.
- Certains charismes comme le repos dans l'Esprit ont fait l'objet
de mises en garde. D'autres manifestations comme la bénédiction
de Toronto posent question. Qu'en pensez-vous?
Il faut distinguer les deux phénomènes que vous
évoquez.
Il peut y avoir de vrai "repos dans l'Esprit". Cependant,
il est dangereux de le rechercher pour lui-même, car, consciemment
ou non, il peut être aisément induit, suscité
par le désir de la personne ou créé par le
contexte, etc.
Pour ce qui est de l'engouement de certains à l'égard
des manifestations qui nous viennent de Toronto, je suis extrêmement
réservé.
Tout d'abord, quiconque a un peu étudié les "Mouvements
de réveil" aux États-unis, apparus au siècle
dernier, sait que de tels phénomènes se sont produits
- il ne faut donc pas nous les présenter comme des nouveautés
- et ils ont complètement discrédité un Mouvement
qui pourtant avait des racines évangéliques.
Les critères de discernement concernant ces manifestations
sont toujours les mêmes: la construction de la personne
et de la communauté chrétienne dans la charité,
en conformité avec l'Évangile. Ce qui me paraît
primordial, c'est que le Seigneur ne fait pas des choses désordonnées
qui rabaissent l'homme. Il peut se manifester avec puissante (cf.
conversion de saint Paul), mais il ne le déshumanise jamais.
Comme dit saint Paul en 1 Co 13,5, "La charité ne
fait rien d'inconvenant" ou encore en 1 Co 14,33 à
propos des charismes "Car Dieu n'est pas un Dieu de désordre
mais un Dieu de paix". Vouloir ignorer ces critères,
c'est ignorer la manière dont l'Esprit Saint agit. On ne
me fera jamais croire que chez des hommes et des femmes, des aboiements
ou des cris d'animaux viennent de Dieu.
Par ailleurs, l'engouement de certains pour ces phénomènes
créent des divisions, cela non plus n'est pas un signe
de la présence de l'Esprit. Il ne faut pas rechercher le
bizarre, l'étrange, mais à faire l'oeuvre de Dieu.
Encore une fois, les signes de Dieu qui accompagnent l'évangélisation
peuvent avoir quelque chose de puissant, d'étonnant (cf.
la Pentecôte), mais ne sont jamais déshumanisants.
- Après plus de tente ans d'existence, on peut se demander
ce que le Renouveau a apporté à l'Église?
Et que peut-il encore lui apporter?
Le Renouveau charismatique a participé au renouvellement
de la prière, de l'évangélisation, de l'acceptation
du renouveau liturgique demandé par le Concile. Il a répondu
a l'attente de beaucoup et aux besoins du monde actuel d'une vie
plus fraternelle, d'une sagesse, d'un renouvellement de la famille,
de l'attention à la vocation de la femme, de la collaboration
entre prêtres et laïcs... D'une manière plus
générale, je dirais qu'il a développé
la capacité de s'ouvrir aux imprévus de Dieu. Dans
un monde particulièrement rationaliste, il montre le primat
de la grâce sur la domination que l'homme veut exercer sur
toute chose, y compris sur son propre corps, sa sensibilité...
Le Renouveau ne s'est pas encore complètement déployé.
L'insistance du pape lors de son discours à la veille de
cette Pentecôte 98 à nous ouvrir aux charismes en
est la preuve.
Comme le dit Jean-Paul II dans "Redemptoris Missio",
bien des choses peuvent nous porter au pessimisme, mais si on
voit ce que le Seigneur fait dans les mouvements ecclésiaux,
les communautés nouvelles, chez beaucoup de chrétiens
et de jeunes on ne peut qu'être émerveillé
de la beauté et de la profondeur de ce qui se fait sans
bruit et qui ne demande qu'à s'étendre largement.
Depuis plusieurs années, le Pape ne cesse de répéter
qu'il se prépare au grand printemps du christianisme.
Cet article, tiré da la revue "Il est Vivant, juin
1998, pages 20-21, est reproduit avec autorisation. N.D.L.R.
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Dernière mise à jour 15 octobre 1998