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Magazine SELON SA PAROLE (QUÉBEC) traitant de questions reliées à la spiritualité, l'évangélisation, l'éducation de la foi et la vie en Église
Selon Sa Parole 15 janvier 1999 vol. 25 numéno 1


Dieu, notre Père
Paul-Émile Vignola


Dieu, notre Père
Paul-Émile Vignola

La troisième année de préparation au grand jubilé nous amène à contempler Dieu, notre Père. La mention de "père" pourra évoquer chez certains des expériences traumatisantes ou renvoyer à des pratiques culturelles détestables. Ainsi en va-t-il dans notre monde tordu à la suite du péché, monde que Jésus est venu sauver pour que nous retrouvions justement le beau visage de son Père.

Dans ce bref exposé, je veux d'abord relever les grandes lignes de la révélation de Dieu comme Père dans l'Ancien Testament et dans les évangiles synoptiques; ensuite je tâcherai de suggérer quelques moments ou occasions de célébrations spéciales au cours de cette année.

ANCIEN TESTAMENT

Dieu se révèle progressivement, selon un mode pédagogique, au peuple juif. Il se donne à connaître d'abord comme Père du peuple, ensuite comme Père de chaque individu, et enfin comme le Père du roi Messie.

A. Dès les débuts de l'histoire juive, ce peuple se perçoit comme différent de ses voisins car il a Dieu comme Père; la protection extraordinaire dont il bénéficie lors de l'Exode oblige même ses ennemis à reconnaître que "ce peuple était fils de Dieu" (Sg 18,13). Dieu a enfanté ce peuple dans sa formation initiale; plus fondamentalement, il l'a créé. Ce peuple est l'ouvrage de ses mains: issu d'Abraham, arraché d'un milieu païen en Mésopotamie, il a grandi en Canaan, a prospéré en Égypte avant d'y être opprimé. Dieu le délivre alors de l'esclavage du pharaon et le guide longuement sur la route du désert. Avec la sollicitude d'un Père pour son enfant, il veille à son développement et à son éducation: "Yahvé ton Dieu te soutenait comme un homme soutient son fils" (Dt 1,31).

En contrepartie, le Seigneur réclame du peuple un culte où s'exprime cette appartenance filiale. Au pharaon, Dieu ordonne de laisser partir les Hébreux pour qu'ils puissent l'honorer dignement au désert. Expression d'une appartenance exclusive. Ce culte entraine le rejet de toute pratique idolâtrique. , une chasse permanente aux idoles. Cette consécration du peuple élu implique la pratique des commandements (les 10 paroles) promulgués au Sinaï pour qu'Israïl suive le droit chemin: "Comprends donc que Yahvé ton Dieu te corrigeait comme un père corrige son enfant, et garde les commandements de Yahvé ton Dieu" (Dt 8,5-6).

S'écarter de cette voie, voilà le péché, l'offense à Dieu: ce faisant, les enfants ne rendaient pas à Dieu l'honneur dû à un père: drame de l'amour paternel qui récolte l'hostilité alors qu'il aurait voulu donner ses biens à profusion. Mais la réaction du Seigneur dépasse la colère et les menaces pour s'achever dans la miséricorde, une affection paternelle profonde, persévérante qui cherche non à frapper mais à guérir. Dieu prend sa revanche en faisant jaillir des larmes de repentir chez ceux qui l'avaient délaissé: "En larmes ils reviennent, dans les supplications, je les ramène. Je vais les conduire aux cours d'eau, par un chemin tout droit où ils ne trébucheront pas. Car je suis un père pour Israïl et Éphraïm est mon premier-né" (Jr 31,9).

B. Père du peuple dans son ensemble, Dieu agit également comme le Père de chaque individu. L'amour de miséricorde qui rejoint tout un chacun est à la fois paternel et maternel; il s'exprime par l'image "des entrailles d'une mère". Cette référence à l'amour maternel aide à comprendre la compassion éprouvée par Dieu devant les faiblesses humaines. Lui, le Tout-puissant, la force souveraine, il ne méprise pas les petits et les faibles mais leur manifeste plutôt une sollicitude émue: "Comme est la tendresse d'un père pour ses fils, tendre est Dieu pour qui le craint; il sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que poussière nous sommes" (Ps 103,13).

Dieu veille aussi au comportement moral des personnes: comme un père, il corrige et réprimande au besoin. Ainsi les malheurs individuels sont perçus comme corrections d'un père qui assiste chacun de ses enfants vers la perfection de l'âge adulte. Les vrais fils de Dieu seront donc ceux qui vivent en accord avec les préceptes divins.

La paternité divine apparaît comme une sollicitude qui concerne tous les individus; elle les enveloppe d'un même amour sans discrimination: "Petits et grands, c'est lui qui les a faits et de tous il prend un soin pareil" (Sg 6,7). Cette attention de tendresse se nomme "Providence", celle qui guide les bâteaux à bon port car le voyage en mer ressemble à la vie humaine: que de tempêtes à traverser, d'obstacles à surmonter! Par sa Providence, une sagesse supérieure à la nôtre, Dieu dirige à bon port les destinées de chacun.

C. Dieu se révèle enfin et d'une façon spéciale Père du roi Messie. Le Messie, c'est d'abord le oint, le consacré de Dieu: Saül et David sont oints par Samuel, l'homme de Dieu. Mais leurs péchés amènent le peuple à désirer et espérer la venue d'un roi idéal, le Messie. Celui-ci, descendant de David, aura Dieu pour père. De même que l'enfant ressemble à son père, aussi le visage de Dieu se reflètera dans le Messie; Fils du Très-Haut, il sera "le très-haut sur les rois de la terre" (Ps 89,28), le roi des rois. Dieu lui promet un amour indéfectible, sans fin. Ces traits du Messie, les croyants de l'an 2000 les trouvent en Jésus: sa ressemblance avec le Père est telle qu'il a pu dire: "Qui m'a vu a vu le Père" (Jn 14,5). Il se reconnaît objet d'attention de Dieu: "Le Père aime le Fils" (Jn 5,20). Enfin, les affirmations "Je t'ai engendré" (Ps 2,7) ne s'éclairent et se comprennent que dans la révélation de Jésus Seigneur, le Fils de Dieu fait chair en Marie.

LES ÉVANGILES SYNOPTIQUES

La grande nouveauté de l'Évangile sur Dieu, c'est la révélation de la Trinité: Jésus se donne à connaître comme le Fils du Père qui l'a envoyé parmi nous. En Dieu il y a plusieurs personnes; le Père est la première; le Père et le Fils sont des personnes distinctes.

Jésus présente Dieu comme son propre Père. Adolescent, il parle de "mon Père" (Lc 2,49). Lors de son discours inaugural, il le désigne comme "votre Père" (Lc 6,36) à ses auditeurs. Ce qu'on peut dès lors dégager, c'est qu'il existe une relation absolument unique entre Jésus et Dieu. Ce ne peut se comparer au rapport entre Abraham, Moïse ou David avec Yahvé. Il prend à coeur le temple,"la maison de son Père" où, à douze ans, il demeure trois jours (Lc 2, 49). Son zèle le poussera à en expulser violemment les vendeurs peu avant sa passion. Lorsqu'il prie, s'établit entre lui et le Père un rapport unique, une intimité telle qu'aucun mystique n'atteindra. C'est là que dans l'obéissance il entre dans sa mission. Après quarante jours au désert pour prier, il commence à prêcher; suite à une nuit de prière, il choisit douze de ses discipes pour en faire ses apôtres. Et lorsqu'il s'adresse à Dieu, il l'appelle "Abba", "papa". Jamais les juifs fervents ne s'étaient permis pareille familiarité. Même si seul saint Marc rapporte explicitement l'expression lors de la prière de Gethsémani, les exégètes croient que Jésus commençait sa prière par ce mot. C'est le terme qui mieux que tout autre répondait à la parfaite intimité filiale qu'il entretenait avec lui. Le Père se livrait sans réserve à lui et lui-même s'ouvrait en plénitude à celui dont il était aimé et qu'il aimait.. Matthieu et Luc ont assez bien mis en lumière ce rapport, non seulement privilégié mais exclusif qui unit le Père et le Fils: "Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir. Tout m'a été remis par mon Père et nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père, comme nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler" (Mt 11,25-27).

Dans l'oeuvre du Salut, l'initiative revient au Père. C'est lui qui énonce la promesse d'un rédempteur tout juste après l'entrée du péché dans l'histoire; s'adressant au serpent, il dit: "Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien; ce lignage t'écrasera la tête, tandis que toi tu le viseras au talon" (Gn 3,15). Au lieu de réagir au péché dans une colère vengeresse, Dieu prend pitié du premier couple qui s'est laissé piéger par le menteur et annonce la venue d'un fils de la femme qui va libérer l'humanité de son asservissement à Satan. Quand les temps furent accomplis, au terme du régime de l'Alliance mosaïque, le Père envoie son Fils au milieu de ce peuple qu'il s'était choisi. Jésus résume toute l'affaire dans la parabole des vignerons homicides: le maître de la vigne (le Père) envoie ses serviteur réclamer son dû auprès des vignerons à qui il a loué sa vigne; or, ils les battent et vont jusqu'à les tuer. Face à pareille barbarie, que faire? "Il lui restait encore quelqu'un, son fils bien-aimé; il le leur envoya le dernier , en se disant: "Ils auront des égards pour mon fils" (Mc 12,6). On sait comment les vignerons l'accueillirent... Ce récit très simple montre le sens de la mission de Jésus envoyé par son Père. Avant lui, maints prophètes avaient été mal reçus. L'envoi du Fils relève d'une générosité bien plus grande; c'est le geste d'un amour qui s'expose au sacrifice. En fait, donner son Fils et le donner pour la croix, c'est le maximum d'amour que le Père puisse offrir à l'humanité. Car ces vignerons scélérats, loin de vouloir leur perte, Dieu veut les sauver. Il a même le souci de tout un chacun. Au terme de la parabole de la brebis égarée, Jésus conclut: "On ne veut pas, chez votre Père qui est aux cieux, qu'un seul de ces petits se perde" (Mt 18,12). Sa bonté et sa miséricorde sont telles qu'il semble ne rejeter personne; écoutons encore Jésus: "Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs; ainsi serez-vous fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes" (Mt 5,44-45). A croire que c'est seulement lorsqu'on lui tourne résolument le dos qu'on échappe à son amour, et encore...

Car sa miséricorde est infinie. La parabole de l'enfant prodigue (Lc 15,11-32) que je préfère appeler avec le professeur Guelluy "la parabole du père aux prises avec ses deux fils", nous en fournit une preuve saisissante. Le plus jeune réclame sa part d'héritage. Mais, normalement, on hérite quand le légataire est décédé.. Ce freluquet décrète, dans son monde à lui, la mort du père. Au lieu de s'offusquer et de faire une scène, celui-ci accède à cette demande inconvenante et répond favorablement à la requête du jeune. Son respect pour la liberté de l'ingrat n'a d'égale que la mansuétude avec laquelle il accueille son retour piteux. Que la joie éclate, faisons la fête! "Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il est retrouvé" (Lc 15,23-24). Et quand l'aîné, de retour des champs se met à bouder et pique une crise de jalousie, il laisse la fête et, patient comme pas un, va lui parler coeur à coeur. Manifestement, son rêve le plus cher serait d'avoir ses deux gars assis avec lui à la même table de famille.

Jésus ne vit que pour son Père et il souhaite que ses disciples empruntent la même voie, vivant de la vie du Père, intimement unis à lui.Quand il souhaite que la lumière des disciples brille sur le monde, il requiert d'eux le témoignage de bonnes oeuvres pour que les gens "en rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux" (Mt 5,16). Comme celle de Jésus, la conduite du disciple doit glorifier le Père. Elle prend comme modèle la perfection même du Père: "Vous, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait" (Mt 5,45).

Cette tension vers la perfection se nourrit de la contemplation de l'amour du Père. L'appel à aimer ses ennemis s'appuie là-dessus; il en va de même pour l'obligation que Jésus nous fait de pardonner: "Si vous pardonnez aux autres leurs manquements, votre Père céleste vous pardonnera aussi; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos manquements" (Mt 6,14-15). Besoin est d'imiter le pardon du Père pour en bénéficier soi-même, pardon sans limite qu'on devra accorder "jusqu'à soixante-dix fois sept fois" (Mt 18,22).

Leur ayant révélé l'amour infini et miséricordieux du Père, Jésus invite ses disciples à mettre en lui toute leur confiance: "Sois sans crainte, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le royaume" (Lc 12,32). Le royaume est désormais confié aux apôtres et aux disciples; il y apparaissent comme des fils et des héritiers; c'est en effet "le royaume de leur Père" (Mt 13,43) qui leur est plus précisément promis pour l'éternité. Jésus invite donc à ne pas se gêner pour prier, demander et intercéder. Citant l'exemple d'un père humain qui s'applique à ne pas décevoir les attentes de son enfant, il enchaîne: "Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui l'en prient!" (Mt 7,11). La bonté de Dieu Père dépasse infiniment celle d'un père humain.

Pour ancrer cette perception du Père dans la mentalité des disciples, Jésus leur enseigne une manière nouvelle de prier; il leur apprend à appeler "Père", "Abba" celui à qui ils s'adressent: "Père, que ton nom soit sanctifié..." (Lc 11,2). En Amérique latine, j'entendais des pauvres et des simples parler du Seigneur en terme de "Pap  Dios" et l'expression me plaisait, toute naïve qu'elle m'apparaissait. Ici, j'entend maintenant des gens dire "Papa, Bon Dieu"; j'avoue n'avoir par encore la simplicité de coeur pour utiliser spontanément ce langage en public, mais il me semble s'inscrire dans la ligne de l'invitation de Jésus à parler à son Père à la manière de petits enfants.
Bonne année du Père, dernière étape avant d'entrer dans celle du grand jubilé!

Dieu, notre Père
Paul-Émile Vignola

La troisième année de préparation au grand jubilé nous amène à contempler Dieu, notre Père. La mention de "père" pourra évoquer chez certains des expériences traumatisantes ou renvoyer à des pratiques culturelles détestables. Ainsi en va-t-il dans notre monde tordu à la suite du péché, monde que Jésus est venu sauver pour que nous retrouvions justement le beau visage de son Père.

Dans ce bref exposé, je veux d'abord relever les grandes lignes de la révélation de Dieu comme Père dans l'Ancien Testament et dans les évangiles synoptiques; ensuite je tâcherai de suggérer quelques moments ou occasions de célébrations spéciales au cours de cette année.

ANCIEN TESTAMENT

Dieu se révèle progressivement, selon un mode pédagogique, au peuple juif. Il se donne à connaître d'abord comme Père du peuple, ensuite comme Père de chaque individu, et enfin comme le Père du roi Messie.

A. Dès les débuts de l'histoire juive, ce peuple se perçoit comme différent de ses voisins car il a Dieu comme Père; la protection extraordinaire dont il bénéficie lors de l'Exode oblige même ses ennemis à reconnaître que "ce peuple était fils de Dieu" (Sg 18,13). Dieu a enfanté ce peuple dans sa formation initiale; plus fondamentalement, il l'a créé. Ce peuple est l'ouvrage de ses mains: issu d'Abraham, arraché d'un milieu païen en Mésopotamie, il a grandi en Canaan, a prospéré en Égypte avant d'y être opprimé. Dieu le délivre alors de l'esclavage du pharaon et le guide longuement sur la route du désert. Avec la sollicitude d'un Père pour son enfant, il veille à son développement et à son éducation: "Yahvé ton Dieu te soutenait comme un homme soutient son fils" (Dt 1,31).

En contrepartie, le Seigneur réclame du peuple un culte où s'exprime cette appartenance filiale. Au pharaon, Dieu ordonne de laisser partir les Hébreux pour qu'ils puissent l'honorer dignement au désert. Expression d'une appartenance exclusive. Ce culte entraine le rejet de toute pratique idolâtrique. , une chasse permanente aux idoles. Cette consécration du peuple élu implique la pratique des commandements (les 10 paroles) promulgués au Sinaï pour qu'Israïl suive le droit chemin: "Comprends donc que Yahvé ton Dieu te corrigeait comme un père corrige son enfant, et garde les commandements de Yahvé ton Dieu" (Dt 8,5-6).

S'écarter de cette voie, voilà le péché, l'offense à Dieu: ce faisant, les enfants ne rendaient pas à Dieu l'honneur dû à un père: drame de l'amour paternel qui récolte l'hostilité alors qu'il aurait voulu donner ses biens à profusion. Mais la réaction du Seigneur dépasse la colère et les menaces pour s'achever dans la miséricorde, une affection paternelle profonde, persévérante qui cherche non à frapper mais à guérir. Dieu prend sa revanche en faisant jaillir des larmes de repentir chez ceux qui l'avaient délaissé: "En larmes ils reviennent, dans les supplications, je les ramène. Je vais les conduire aux cours d'eau, par un chemin tout droit où ils ne trébucheront pas. Car je suis un père pour Israïl et Éphraïm est mon premier-né" (Jr 31,9).

B. Père du peuple dans son ensemble, Dieu agit également comme le Père de chaque individu. L'amour de miséricorde qui rejoint tout un chacun est à la fois paternel et maternel; il s'exprime par l'image "des entrailles d'une mère". Cette référence à l'amour maternel aide à comprendre la compassion éprouvée par Dieu devant les faiblesses humaines. Lui, le Tout-puissant, la force souveraine, il ne méprise pas les petits et les faibles mais leur manifeste plutôt une sollicitude émue: "Comme est la tendresse d'un père pour ses fils, tendre est Dieu pour qui le craint; il sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que poussière nous sommes" (Ps 103,13).

Dieu veille aussi au comportement moral des personnes: comme un père, il corrige et réprimande au besoin. Ainsi les malheurs individuels sont perçus comme corrections d'un père qui assiste chacun de ses enfants vers la perfection de l'âge adulte. Les vrais fils de Dieu seront donc ceux qui vivent en accord avec les préceptes divins.

La paternité divine apparaît comme une sollicitude qui concerne tous les individus; elle les enveloppe d'un même amour sans discrimination: "Petits et grands, c'est lui qui les a faits et de tous il prend un soin pareil" (Sg 6,7). Cette attention de tendresse se nomme "Providence", celle qui guide les bâteaux à bon port car le voyage en mer ressemble à la vie humaine: que de tempêtes à traverser, d'obstacles à surmonter! Par sa Providence, une sagesse supérieure à la nôtre, Dieu dirige à bon port les destinées de chacun.

C. Dieu se révèle enfin et d'une façon spéciale Père du roi Messie. Le Messie, c'est d'abord le oint, le consacré de Dieu: Saül et David sont oints par Samuel, l'homme de Dieu. Mais leurs péchés amènent le peuple à désirer et espérer la venue d'un roi idéal, le Messie. Celui-ci, descendant de David, aura Dieu pour père. De même que l'enfant ressemble à son père, aussi le visage de Dieu se reflètera dans le Messie; Fils du Très-Haut, il sera "le très-haut sur les rois de la terre" (Ps 89,28), le roi des rois. Dieu lui promet un amour indéfectible, sans fin. Ces traits du Messie, les croyants de l'an 2000 les trouvent en Jésus: sa ressemblance avec le Père est telle qu'il a pu dire: "Qui m'a vu a vu le Père" (Jn 14,5). Il se reconnaît objet d'attention de Dieu: "Le Père aime le Fils" (Jn 5,20). Enfin, les affirmations "Je t'ai engendré" (Ps 2,7) ne s'éclairent et se comprennent que dans la révélation de Jésus Seigneur, le Fils de Dieu fait chair en Marie.

LES ÉVANGILES SYNOPTIQUES

La grande nouveauté de l'Évangile sur Dieu, c'est la révélation de la Trinité: Jésus se donne à connaître comme le Fils du Père qui l'a envoyé parmi nous. En Dieu il y a plusieurs personnes; le Père est la première; le Père et le Fils sont des personnes distinctes.

Jésus présente Dieu comme son propre Père. Adolescent, il parle de "mon Père" (Lc 2,49). Lors de son discours inaugural, il le désigne comme "votre Père" (Lc 6,36) à ses auditeurs. Ce qu'on peut dès lors dégager, c'est qu'il existe une relation absolument unique entre Jésus et Dieu. Ce ne peut se comparer au rapport entre Abraham, Moïse ou David avec Yahvé. Il prend à coeur le temple,"la maison de son Père" où, à douze ans, il demeure trois jours (Lc 2, 49). Son zèle le poussera à en expulser violemment les vendeurs peu avant sa passion. Lorsqu'il prie, s'établit entre lui et le Père un rapport unique, une intimité telle qu'aucun mystique n'atteindra. C'est là que dans l'obéissance il entre dans sa mission. Après quarante jours au désert pour prier, il commence à prêcher; suite à une nuit de prière, il choisit douze de ses discipes pour en faire ses apôtres. Et lorsqu'il s'adresse à Dieu, il l'appelle "Abba", "papa". Jamais les juifs fervents ne s'étaient permis pareille familiarité. Même si seul saint Marc rapporte explicitement l'expression lors de la prière de Gethsémani, les exégètes croient que Jésus commençait sa prière par ce mot. C'est le terme qui mieux que tout autre répondait à la parfaite intimité filiale qu'il entretenait avec lui. Le Père se livrait sans réserve à lui et lui-même s'ouvrait en plénitude à celui dont il était aimé et qu'il aimait.. Matthieu et Luc ont assez bien mis en lumière ce rapport, non seulement privilégié mais exclusif qui unit le Père et le Fils: "Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir. Tout m'a été remis par mon Père et nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père, comme nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler" (Mt 11,25-27).

Dans l'oeuvre du Salut, l'initiative revient au Père. C'est lui qui énonce la promesse d'un rédempteur tout juste après l'entrée du péché dans l'histoire; s'adressant au serpent, il dit: "Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien; ce lignage t'écrasera la tête, tandis que toi tu le viseras au talon" (Gn 3,15). Au lieu de réagir au péché dans une colère vengeresse, Dieu prend pitié du premier couple qui s'est laissé piéger par le menteur et annonce la venue d'un fils de la femme qui va libérer l'humanité de son asservissement à Satan. Quand les temps furent accomplis, au terme du régime de l'Alliance mosaïque, le Père envoie son Fils au milieu de ce peuple qu'il s'était choisi. Jésus résume toute l'affaire dans la parabole des vignerons homicides: le maître de la vigne (le Père) envoie ses serviteur réclamer son dû auprès des vignerons à qui il a loué sa vigne; or, ils les battent et vont jusqu'à les tuer. Face à pareille barbarie, que faire? "Il lui restait encore quelqu'un, son fils bien-aimé; il le leur envoya le dernier , en se disant: "Ils auront des égards pour mon fils" (Mc 12,6). On sait comment les vignerons l'accueillirent... Ce récit très simple montre le sens de la mission de Jésus envoyé par son Père. Avant lui, maints prophètes avaient été mal reçus. L'envoi du Fils relève d'une générosité bien plus grande; c'est le geste d'un amour qui s'expose au sacrifice. En fait, donner son Fils et le donner pour la croix, c'est le maximum d'amour que le Père puisse offrir à l'humanité. Car ces vignerons scélérats, loin de vouloir leur perte, Dieu veut les sauver. Il a même le souci de tout un chacun. Au terme de la parabole de la brebis égarée, Jésus conclut: "On ne veut pas, chez votre Père qui est aux cieux, qu'un seul de ces petits se perde" (Mt 18,12). Sa bonté et sa miséricorde sont telles qu'il semble ne rejeter personne; écoutons encore Jésus: "Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs; ainsi serez-vous fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes" (Mt 5,44-45). A croire que c'est seulement lorsqu'on lui tourne résolument le dos qu'on échappe à son amour, et encore...

Car sa miséricorde est infinie. La parabole de l'enfant prodigue (Lc 15,11-32) que je préfère appeler avec le professeur Guelluy "la parabole du père aux prises avec ses deux fils", nous en fournit une preuve saisissante. Le plus jeune réclame sa part d'héritage. Mais, normalement, on hérite quand le légataire est décédé.. Ce freluquet décrète, dans son monde à lui, la mort du père. Au lieu de s'offusquer et de faire une scène, celui-ci accède à cette demande inconvenante et répond favorablement à la requête du jeune. Son respect pour la liberté de l'ingrat n'a d'égale que la mansuétude avec laquelle il accueille son retour piteux. Que la joie éclate, faisons la fête! "Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il est retrouvé" (Lc 15,23-24). Et quand l'aîné, de retour des champs se met à bouder et pique une crise de jalousie, il laisse la fête et, patient comme pas un, va lui parler coeur à coeur. Manifestement, son rêve le plus cher serait d'avoir ses deux gars assis avec lui à la même table de famille.

Jésus ne vit que pour son Père et il souhaite que ses disciples empruntent la même voie, vivant de la vie du Père, intimement unis à lui.Quand il souhaite que la lumière des disciples brille sur le monde, il requiert d'eux le témoignage de bonnes oeuvres pour que les gens "en rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux" (Mt 5,16). Comme celle de Jésus, la conduite du disciple doit glorifier le Père. Elle prend comme modèle la perfection même du Père: "Vous, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait" (Mt 5,45).

Cette tension vers la perfection se nourrit de la contemplation de l'amour du Père. L'appel à aimer ses ennemis s'appuie là-dessus; il en va de même pour l'obligation que Jésus nous fait de pardonner: "Si vous pardonnez aux autres leurs manquements, votre Père céleste vous pardonnera aussi; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos manquements" (Mt 6,14-15). Besoin est d'imiter le pardon du Père pour en bénéficier soi-même, pardon sans limite qu'on devra accorder "jusqu'à soixante-dix fois sept fois" (Mt 18,22).

Leur ayant révélé l'amour infini et miséricordieux du Père, Jésus invite ses disciples à mettre en lui toute leur confiance: "Sois sans crainte, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le royaume" (Lc 12,32). Le royaume est désormais confié aux apôtres et aux disciples; il y apparaissent comme des fils et des héritiers; c'est en effet "le royaume de leur Père" (Mt 13,43) qui leur est plus précisément promis pour l'éternité. Jésus invite donc à ne pas se gêner pour prier, demander et intercéder. Citant l'exemple d'un père humain qui s'applique à ne pas décevoir les attentes de son enfant, il enchaîne: "Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui l'en prient!" (Mt 7,11). La bonté de Dieu Père dépasse infiniment celle d'un père humain.

Pour ancrer cette perception du Père dans la mentalité des disciples, Jésus leur enseigne une manière nouvelle de prier; il leur apprend à appeler "Père", "Abba" celui à qui ils s'adressent: "Père, que ton nom soit sanctifié..." (Lc 11,2). En Amérique latine, j'entendais des pauvres et des simples parler du Seigneur en terme de "Pap  Dios" et l'expression me plaisait, toute naïve qu'elle m'apparaissait. Ici, j'entend maintenant des gens dire "Papa, Bon Dieu"; j'avoue n'avoir par encore la simplicité de coeur pour utiliser spontanément ce langage en public, mais il me semble s'inscrire dans la ligne de l'invitation de Jésus à parler à son Père à la manière de petits enfants.
Bonne année du Père, dernière étape avant d'entrer dans celle du grand jubilé!

Dieu, notre Père
Paul-Émile Vignola

La troisième année de préparation au grand jubilé nous amène à contempler Dieu, notre Père. La mention de "père" pourra évoquer chez certains des expériences traumatisantes ou renvoyer à des pratiques culturelles détestables. Ainsi en va-t-il dans notre monde tordu à la suite du péché, monde que Jésus est venu sauver pour que nous retrouvions justement le beau visage de son Père.

Dans ce bref exposé, je veux d'abord relever les grandes lignes de la révélation de Dieu comme Père dans l'Ancien Testament et dans les évangiles synoptiques; ensuite je tâcherai de suggérer quelques moments ou occasions de célébrations spéciales au cours de cette année.

ANCIEN TESTAMENT

Dieu se révèle progressivement, selon un mode pédagogique, au peuple juif. Il se donne à connaître d'abord comme Père du peuple, ensuite comme Père de chaque individu, et enfin comme le Père du roi Messie.

A. Dès les débuts de l'histoire juive, ce peuple se perçoit comme différent de ses voisins car il a Dieu comme Père; la protection extraordinaire dont il bénéficie lors de l'Exode oblige même ses ennemis à reconnaître que "ce peuple était fils de Dieu" (Sg 18,13). Dieu a enfanté ce peuple dans sa formation initiale; plus fondamentalement, il l'a créé. Ce peuple est l'ouvrage de ses mains: issu d'Abraham, arraché d'un milieu païen en Mésopotamie, il a grandi en Canaan, a prospéré en Égypte avant d'y être opprimé. Dieu le délivre alors de l'esclavage du pharaon et le guide longuement sur la route du désert. Avec la sollicitude d'un Père pour son enfant, il veille à son développement et à son éducation: "Yahvé ton Dieu te soutenait comme un homme soutient son fils" (Dt 1,31).

En contrepartie, le Seigneur réclame du peuple un culte où s'exprime cette appartenance filiale. Au pharaon, Dieu ordonne de laisser partir les Hébreux pour qu'ils puissent l'honorer dignement au désert. Expression d'une appartenance exclusive. Ce culte entraine le rejet de toute pratique idolâtrique. , une chasse permanente aux idoles. Cette consécration du peuple élu implique la pratique des commandements (les 10 paroles) promulgués au Sinaï pour qu'Israïl suive le droit chemin: "Comprends donc que Yahvé ton Dieu te corrigeait comme un père corrige son enfant, et garde les commandements de Yahvé ton Dieu" (Dt 8,5-6).

S'écarter de cette voie, voilà le péché, l'offense à Dieu: ce faisant, les enfants ne rendaient pas à Dieu l'honneur dû à un père: drame de l'amour paternel qui récolte l'hostilité alors qu'il aurait voulu donner ses biens à profusion. Mais la réaction du Seigneur dépasse la colère et les menaces pour s'achever dans la miséricorde, une affection paternelle profonde, persévérante qui cherche non à frapper mais à guérir. Dieu prend sa revanche en faisant jaillir des larmes de repentir chez ceux qui l'avaient délaissé: "En larmes ils reviennent, dans les supplications, je les ramène. Je vais les conduire aux cours d'eau, par un chemin tout droit où ils ne trébucheront pas. Car je suis un père pour Israïl et Éphraïm est mon premier-né" (Jr 31,9).

B. Père du peuple dans son ensemble, Dieu agit également comme le Père de chaque individu. L'amour de miséricorde qui rejoint tout un chacun est à la fois paternel et maternel; il s'exprime par l'image "des entrailles d'une mère". Cette référence à l'amour maternel aide à comprendre la compassion éprouvée par Dieu devant les faiblesses humaines. Lui, le Tout-puissant, la force souveraine, il ne méprise pas les petits et les faibles mais leur manifeste plutôt une sollicitude émue: "Comme est la tendresse d'un père pour ses fils, tendre est Dieu pour qui le craint; il sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que poussière nous sommes" (Ps 103,13).

Dieu veille aussi au comportement moral des personnes: comme un père, il corrige et réprimande au besoin. Ainsi les malheurs individuels sont perçus comme corrections d'un père qui assiste chacun de ses enfants vers la perfection de l'âge adulte. Les vrais fils de Dieu seront donc ceux qui vivent en accord avec les préceptes divins.

La paternité divine apparaît comme une sollicitude qui concerne tous les individus; elle les enveloppe d'un même amour sans discrimination: "Petits et grands, c'est lui qui les a faits et de tous il prend un soin pareil" (Sg 6,7). Cette attention de tendresse se nomme "Providence", celle qui guide les bâteaux à bon port car le voyage en mer ressemble à la vie humaine: que de tempêtes à traverser, d'obstacles à surmonter! Par sa Providence, une sagesse supérieure à la nôtre, Dieu dirige à bon port les destinées de chacun.

C. Dieu se révèle enfin et d'une façon spéciale Père du roi Messie. Le Messie, c'est d'abord le oint, le consacré de Dieu: Saül et David sont oints par Samuel, l'homme de Dieu. Mais leurs péchés amènent le peuple à désirer et espérer la venue d'un roi idéal, le Messie. Celui-ci, descendant de David, aura Dieu pour père. De même que l'enfant ressemble à son père, aussi le visage de Dieu se reflètera dans le Messie; Fils du Très-Haut, il sera "le très-haut sur les rois de la terre" (Ps 89,28), le roi des rois. Dieu lui promet un amour indéfectible, sans fin. Ces traits du Messie, les croyants de l'an 2000 les trouvent en Jésus: sa ressemblance avec le Père est telle qu'il a pu dire: "Qui m'a vu a vu le Père" (Jn 14,5). Il se reconnaît objet d'attention de Dieu: "Le Père aime le Fils" (Jn 5,20). Enfin, les affirmations "Je t'ai engendré" (Ps 2,7) ne s'éclairent et se comprennent que dans la révélation de Jésus Seigneur, le Fils de Dieu fait chair en Marie.

LES ÉVANGILES SYNOPTIQUES

La grande nouveauté de l'Évangile sur Dieu, c'est la révélation de la Trinité: Jésus se donne à connaître comme le Fils du Père qui l'a envoyé parmi nous. En Dieu il y a plusieurs personnes; le Père est la première; le Père et le Fils sont des personnes distinctes.

Jésus présente Dieu comme son propre Père. Adolescent, il parle de "mon Père" (Lc 2,49). Lors de son discours inaugural, il le désigne comme "votre Père" (Lc 6,36) à ses auditeurs. Ce qu'on peut dès lors dégager, c'est qu'il existe une relation absolument unique entre Jésus et Dieu. Ce ne peut se comparer au rapport entre Abraham, Moïse ou David avec Yahvé. Il prend à coeur le temple,"la maison de son Père" où, à douze ans, il demeure trois jours (Lc 2, 49). Son zèle le poussera à en expulser violemment les vendeurs peu avant sa passion. Lorsqu'il prie, s'établit entre lui et le Père un rapport unique, une intimité telle qu'aucun mystique n'atteindra. C'est là que dans l'obéissance il entre dans sa mission. Après quarante jours au désert pour prier, il commence à prêcher; suite à une nuit de prière, il choisit douze de ses discipes pour en faire ses apôtres. Et lorsqu'il s'adresse à Dieu, il l'appelle "Abba", "papa". Jamais les juifs fervents ne s'étaient permis pareille familiarité. Même si seul saint Marc rapporte explicitement l'expression lors de la prière de Gethsémani, les exégètes croient que Jésus commençait sa prière par ce mot. C'est le terme qui mieux que tout autre répondait à la parfaite intimité filiale qu'il entretenait avec lui. Le Père se livrait sans réserve à lui et lui-même s'ouvrait en plénitude à celui dont il était aimé et qu'il aimait.. Matthieu et Luc ont assez bien mis en lumière ce rapport, non seulement privilégié mais exclusif qui unit le Père et le Fils: "Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir. Tout m'a été remis par mon Père et nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père, comme nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler" (Mt 11,25-27).

Dans l'oeuvre du Salut, l'initiative revient au Père. C'est lui qui énonce la promesse d'un rédempteur tout juste après l'entrée du péché dans l'histoire; s'adressant au serpent, il dit: "Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ton lignage et le sien; ce lignage t'écrasera la tête, tandis que toi tu le viseras au talon" (Gn 3,15). Au lieu de réagir au péché dans une colère vengeresse, Dieu prend pitié du premier couple qui s'est laissé piéger par le menteur et annonce la venue d'un fils de la femme qui va libérer l'humanité de son asservissement à Satan. Quand les temps furent accomplis, au terme du régime de l'Alliance mosaïque, le Père envoie son Fils au milieu de ce peuple qu'il s'était choisi. Jésus résume toute l'affaire dans la parabole des vignerons homicides: le maître de la vigne (le Père) envoie ses serviteur réclamer son dû auprès des vignerons à qui il a loué sa vigne; or, ils les battent et vont jusqu'à les tuer. Face à pareille barbarie, que faire? "Il lui restait encore quelqu'un, son fils bien-aimé; il le leur envoya le dernier , en se disant: "Ils auront des égards pour mon fils" (Mc 12,6). On sait comment les vignerons l'accueillirent... Ce récit très simple montre le sens de la mission de Jésus envoyé par son Père. Avant lui, maints prophètes avaient été mal reçus. L'envoi du Fils relève d'une générosité bien plus grande; c'est le geste d'un amour qui s'expose au sacrifice. En fait, donner son Fils et le donner pour la croix, c'est le maximum d'amour que le Père puisse offrir à l'humanité. Car ces vignerons scélérats, loin de vouloir leur perte, Dieu veut les sauver. Il a même le souci de tout un chacun. Au terme de la parabole de la brebis égarée, Jésus conclut: "On ne veut pas, chez votre Père qui est aux cieux, qu'un seul de ces petits se perde" (Mt 18,12). Sa bonté et sa miséricorde sont telles qu'il semble ne rejeter personne; écoutons encore Jésus: "Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs; ainsi serez-vous fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes" (Mt 5,44-45). A croire que c'est seulement lorsqu'on lui tourne résolument le dos qu'on échappe à son amour, et encore...

Car sa miséricorde est infinie. La parabole de l'enfant prodigue (Lc 15,11-32) que je préfère appeler avec le professeur Guelluy "la parabole du père aux prises avec ses deux fils", nous en fournit une preuve saisissante. Le plus jeune réclame sa part d'héritage. Mais, normalement, on hérite quand le légataire est décédé.. Ce freluquet décrète, dans son monde à lui, la mort du père. Au lieu de s'offusquer et de faire une scène, celui-ci accède à cette demande inconvenante et répond favorablement à la requête du jeune. Son respect pour la liberté de l'ingrat n'a d'égale que la mansuétude avec laquelle il accueille son retour piteux. Que la joie éclate, faisons la fête! "Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il est retrouvé" (Lc 15,23-24). Et quand l'aîné, de retour des champs se met à bouder et pique une crise de jalousie, il laisse la fête et, patient comme pas un, va lui parler coeur à coeur. Manifestement, son rêve le plus cher serait d'avoir ses deux gars assis avec lui à la même table de famille.

Jésus ne vit que pour son Père et il souhaite que ses disciples empruntent la même voie, vivant de la vie du Père, intimement unis à lui.Quand il souhaite que la lumière des disciples brille sur le monde, il requiert d'eux le témoignage de bonnes oeuvres pour que les gens "en rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux" (Mt 5,16). Comme celle de Jésus, la conduite du disciple doit glorifier le Père. Elle prend comme modèle la perfection même du Père: "Vous, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait" (Mt 5,45).

Cette tension vers la perfection se nourrit de la contemplation de l'amour du Père. L'appel à aimer ses ennemis s'appuie là-dessus; il en va de même pour l'obligation que Jésus nous fait de pardonner: "Si vous pardonnez aux autres leurs manquements, votre Père céleste vous pardonnera aussi; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos manquements" (Mt 6,14-15). Besoin est d'imiter le pardon du Père pour en bénéficier soi-même, pardon sans limite qu'on devra accorder "jusqu'à soixante-dix fois sept fois" (Mt 18,22).

Leur ayant révélé l'amour infini et miséricordieux du Père, Jésus invite ses disciples à mettre en lui toute leur confiance: "Sois sans crainte, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner le royaume" (Lc 12,32). Le royaume est désormais confié aux apôtres et aux disciples; il y apparaissent comme des fils et des héritiers; c'est en effet "le royaume de leur Père" (Mt 13,43) qui leur est plus précisément promis pour l'éternité. Jésus invite donc à ne pas se gêner pour prier, demander et intercéder. Citant l'exemple d'un père humain qui s'applique à ne pas décevoir les attentes de son enfant, il enchaîne: "Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui l'en prient!" (Mt 7,11). La bonté de Dieu Père dépasse infiniment celle d'un père humain.

Pour ancrer cette perception du Père dans la mentalité des disciples, Jésus leur enseigne une manière nouvelle de prier; il leur apprend à appeler "Père", "Abba" celui à qui ils s'adressent: "Père, que ton nom soit sanctifié..." (Lc 11,2). En Amérique latine, j'entendais des pauvres et des simples parler du Seigneur en terme de "Pap  Dios" et l'expression me plaisait, toute naïve qu'elle m'apparaissait. Ici, j'entend maintenant des gens dire "Papa, Bon Dieu"; j'avoue n'avoir par encore la simplicité de coeur pour utiliser spontanément ce langage en public, mais il me semble s'inscrire dans la ligne de l'invitation de Jésus à parler à son Père à la manière de petits enfants.
Bonne année du Père, dernière étape avant d'entrer dans celle du grand jubilé!

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Dernière mise à jour 20 janvier 19998

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