Saint Noël Chabanel
Paul-Émile Vignola
Né le 2 février 1613 dans le sud de la France, Noël Chabanel entra à 17 ans chez les Jésuites à Toulouse. Il y reçut sa formation et enseigna les lettres une dizaine d'années dans les collèges de la Compagnie. Ordonné prêtre, il demanda et obtint de passer au service de la Mission en Nouvelle-France. Parti de La Rochelle le 8 mars 1643, ce n'est que le 18 août suivant, au terme d'un voyage exceptionnellement long et périlleux, qu'il mit le pied à Québec. Il y resta une année avant de se rendre au pays des Hurons.
Martyr dans l'ombre
Le père Chabanel monte chez les Hurons l'été suivant et parvient à la Mission de Sainte-Marie le 7 septembre 1644. C'est alors que commence son martyre. On a déjà mentionné les difficiles conditions de la vie missionnaire chez les Indiens. Jean de Brébeuf, ce géant héroïque qui ne se plaignait de rien, écœuré de ce qu'il voyait chez ces gens rustres et grossiers, appelait les cabanes indiennes " une petite image de l'enfer ". Le père Jérôme Lalemant, un autre héros, disait : " On aimerait mieux recevoir un coup de hache sur la tête que de mener, des années durant, la vie qu'il faut mener ici tous les jours, travaillant à la conversion des barbares ".
Plus que tous ses confrères, le père Chabanel souffrait d'une répugnance extraordinaire pour ce style de vie où il fallait bien se mêler aux Indiens. Un historien, le père Rouvier, en a tracé un raccourci éloquent : " Tout, en effet, était un objet d'horreur pour Noël Chabanel parmi les sauvages ; leur écœurante puanteur, - la saleté repoussante, défiant toute imagination, de leur nauséabonde cuisine, - la vermine dont on était dévoré en leur compagnie, - leur sans-gêne éhonté et aussi déconcertant que leur friponne habitude du vol, passée en seconde nature chez eux ". Les Pères font état de la mauvaise volonté des Hurons, de leur ingéniosité à scandaliser les missionnaires par le spectacle de leur immoralité, de leurs moqueries incessantes, sans oublier les menaces continuelles d'en finir avec les Robes-noires.
Outre ce dégoût inexprimable pour ses ouailles, l'ancien professeur de lettres qui avait sans peine assimilé le grec et le latin, se trouva à court de moyens face aux difficultés des langues indien-nes. Alors que le père Garnier pouvait déjà s'entretenir avec ses gens après quelques semaines, le pauvre Noël parvenait à peine à se faire comprendre des siens quatre ans après son arrivée.
Un vœu héroïque
Comme si tout cela ne suffisait pas, le démon ajoutait son grain de sel ; il montrait au missionnaire que tous ses efforts et sacrifices ne donneraient rien alors que, s'il retournait en France, son zèle et son ardente charité feraient merveille auprès de jeunes assoiffés de savoir et de formation dans les collèges de la Compagnie. Mais Satan fut bien joué : accablé par son profond dégoût des mœurs indiennes, hanté par le découragement, le jeune missionnaire posa un acte héroïque en s'engageant par vœu à demeurer chez les Hurons jusqu'à son dernier souffle. Le jour de la Fête-Dieu, 20 juin 1647, il écrivait et signait ce texte merveilleux : " Seigneur Jésus qui, par une disposition admirable de votre Providence paternelle, avez voulu faire de moi l'aide des saints apôtres de cette vigne des Hurons, bien que j'en sois absolument indigne, moi, Noël Chabanel, poussé par le désir de travailler au service de votre Esprit-Saint dans l'œuvre de la conversion à la foi des sauvages de ce pays, en présence du très saint Sacrement de votre précieux Corps et de votre Sang, je fais vœu de stabilité perpétuelle dans cette mission des Hurons, entendant toutes choses suivant l'interprétation et la disposition de la Compagnie de Jésus et de ses supé-rieurs. Je vous supplie donc, recevez-moi pour serviteur perpétuel de cette mission et rendez-moi digne d'un aussi sublime ministère. Amen ! "
Au milieu des dangers
La guerre menée par les Iroquois contre les Hurons s'intensifiait. Collaborateur pour un temps des pères de Brébeuf et Garnier, il venait d'en être séparé lorsque sonna pour eux l'heure de verser leur sang. Avec humour, il écrivait à son frère Pierre, jésuite lui aussi : " Peu s'en fallut dans les apparences humaines, que Votre Révérence n'ait eu un frère martyr. Mais, hélas ! Il faut devant Dieu une vertu d'une autre trempe que la mienne, pour mériter l'honneur du martyre... "
Au cours de la tragique année 1649, il changea souvent de poste : d'une part, les populations menacées demandaient l'assistance des prêtres, d'autre part, les supérieurs ne voulaient pas exposer deux de leurs frères au même endroit.
Aux premiers jours de décembre, après sa dernière confession à un confrère, il laissa tomber comme mot d'adieu : " Mon cher Père, que ce soit pour de bon cette fois que je me donne à Dieu et que je lui appartienne ".
Le Seigneur le prédisposait au sacrifice suprême dans un pressentiment qu'il partagea ainsi à un ami : " Je ne sais ce qu'il y a en moi, mais je me sens tout changé en un point. Je suis fort appréhensif de mon naturel ; toutefois, maintenant que je vais au plus grand danger, et qu'il me semble que la mort n'est pas éloignée, je ne sens plus de crainte. Cette disposition ne vient pas de moi ".
Le 5 décembre, le père Chabanel quitta le poste de Saint-Jean à destination de Saint-Joseph. En chemin, il s'arrêta à Saint-Matthias où il dit à ses confrères : " Je vais où l'obéissance m'appelle ". La marche en forêt dans la neige avec un groupe de sept ou huit Hurons, des chrétiens, s'avérait exténuante.
Au soir du 7 décembre, la troupe s'arrêta pour prendre un peu de repos. Au milieu de la nuit, une clameur retentit dans les bois : les Iroquois qui venaient de saccager Saint-Jean rentraient chez eux. Épouvantés, les Hurons prirent la fuite ; le Père voulut les suivre, mais, épuisé, il en était incapable. " Mettez-vous en sécurité au plus vite ! Pour moi, peu importe que je meure ici ou ailleurs ! " dit-il en substance à ces compagnons. On ne le revit plus... Tomba-t-il aux mains des Iroquois ? Il fut plutôt victime de la hache d'un Huron apostat.
Ce dernier s'en vanta, disant avoir voulu par là venger sa nation des malheurs qui l'avaient accablée depuis que les Robes-Noires y avaient apporté l'Évangile. Les Jésuites renoncèrent à pousser une enquête ; la justice humaine peut si facilement se tromper, mais le sang des martyrs est semence de chrétiens.
N.D.L.R.
Noël Chabanel fut le huitième et le dernier des saints martyrs canadiens que l'Église a béatifiés en 1925 et canonisés en 1930. Ainsi se termine cette galerie de portraits que Selon sa Parole et l'auteur de cette série ont voulu publier sans interruption.
Magazine SELON SA PAROLE (QUÉBEC) traitant de questions reliées à la spiritualité, l'évangélisation, l'éducation de la foi et la vie en Église
Selon Sa Parole mai-juin vol. 28 numéro 3