Page d'accueil | Sommaire | Jubilé | Activités | A retenir | Informations nationales | Informations internationales


Selon Sa Parole juin-juillet 1998 vol. 24 numéro 6




REPERES
POUR UNE MISE EN OEUVRE DE STRATÉGIES D'ESPÉRANCE
Normand Provencher

Y a-t-il des stratégies d'espérance que nous pouvons mettre en oeuvre, à la lumière des appels, des "signes des temps", des petites lueurs qui émergent dans l'Église d'ici et notre société? En parcourant la littérature sur l'Église et la situation de la foi chrétienne, je suis toujours frappé de constater que les auteurs, depuis 40 ans, parlent souvent de déclin, de perte de la foi, de situation périlleuse, de christianisme éclaté. On va jusqu'à poser la question: "Le christianisme a-t-il un avenir?"

DES CHANGEMENTS PROFONDS SONT À L'OEUVRE

De nos jours, certaines données montrent clairement que des changements profonds sont à l'oeuvre, qu'ils sont déjà commencés et nous avons la responsabilité d'y faire face. En voici quelques-unes.

- Notre Église d'ici et aussi les communautés religieuses en Europe et en Amérique du Nord n'arrivent pas à recruter de nouveaux membres. (Ex. Le diocèse de Québec, plusieurs communautés religieuses). Il faut voir les conséquences de ce fait: un personnel plus âgé, fatigué, moins audacieux, plus limité dans les talents et moins apte à répondre aux besoins actuels de la mission. Cette situation va entraîner nécessairement une modification profonde du visage de l'Église.

- La baisse de la pratique religieuse ou liturgique et l'ignorance de la foi chrétienne et de la culture religieuse. Aussi, nous avons de moins en moins de ressources (en personnel et en finances) pour assurer la vitalité des communautés et pour nous permettre d'être missionnaires. À cause de l'ignorance religieuse, les gens sont naïfs et sont des proies faciles pour les sectes. De plus, il faut noter que les gens sont portés à croire davantage les médias, les propagandistes du Nouvel Âge, l'Internet que les Églises traditionnelles.

- La foi chrétienne devient de plus en plus une étrangère dans notre monde moderne. La foi chrétienne marque de moins en moins les orientations politiques et sociales de la société. Elle marque de moins en moins la vie familiale. L'Église semble bien appartenir au passé et ses activités relèvent du folklore. Nous devons l'admettre, nous ne vivons plus en chrétienté, même si nous avons encore une bonne part des édifices et du mobilier. Nous sommes de plus en plus en diaspora, en minorité, ou encore en exil.

Dans la visée missionnaire ou dans le projet d'une nouvelle évangélisation, il ne faut se laisser interpeler seulement par les données qui nous apparaissent négligées et qui manifestent le déclin de la foi chrétienne. Sans nier ces faits, il est urgent et nécessaire de discerner dans notre monde et notre Église ce qui serait des lueurs d'espérance, des pousses fraîches. Pour faire cela, changeons de lunettes. Il n'est pas facile de voir le nouveau et surtout de le considérer comme semence d'un avenir prometteur et évangélique.

LES SIGNES POSITIFS OU LUEURS D'ESPÉRANCE DANS L'ÉGLISE ET DANS LE MONDE.

Tout choix de signes jugés positifs a quelque chose d'incertain et d'aléatoire: ils révèlent autant les options théologiques et sociales de son auteur que les données objectives.

Dans le domaine éthique, quelques faits me semblent significatifs:

- l'attention portée aux exclus et aux pauvres. Les théologies de la libération ne sont pas étrangères à cette vigilance que nous pouvons constater aussi dans les mouvements et organismes sociaux. Il y a un sens de la solidarité et de l'entraide, qui se manifeste surtout à l'occasion d'une catastrophe. Il y a un souci de justice et de répartition des richesses. Sommes-nous présents et actifs dans ces diverses solidarités? dans ces réseaux? J'ai admiré le rôle de Mgr Couture au Saguenay lors des inondations.

- la compréhension nouvelle, encore à peine naissante, à l'égard des marginaux des prescriptions ecclésiastiques. Je pense aux non-pratiquants, aux divorcés remariés, aux homosexuels. Quelque chose de nouveau se dessine: la parole trop spontanée de condamnation fait place à une parole plus humaine, plus évangélique.

- le rejet du lien entre la nation et la religion, le politique et la foi chrétienne. Ex.: Les commissions scolaires linguistiques et non confessionnelles. Dans plusieurs domaines, il y a un intérêt manifeste pour l'éthique (dans le domaine de la vie, de la recherche, de l'environnement). Cet intérêt pour l'éthique montre que finalement on s'intéresse à l'humain. Lorsqu'on se soucie de l'humain, on n'est pas loin de Dieu, car le "chemin vers Dieu, c'est l'homme".

Dans le domaine institutionnel, on peut noter quelques signes de la naissance d'une Église plus évangélique et plus démocratique.

- l'affermissement d'une opinion publique. On doit se rappeler que Pie XII a voulu l'établissement d'une opinion publique dans l'Église: la gestion juste d'une société nécessite du contre-pouvoir. Dans la théologie classique, la réception positive par l'ensemble des chrétiens des décisions des autorités ecclésiales a toujours été jugée un signe de santé. L'opinion présente n'admet plus que les instances centrales agissent selon le modèle des états totalitaires, sans respect du droit et sans souci des réputations. Les gens veulent avoir leur mot à dire dans le gouvernement de l'Église, puisque cette Église souligne la valeur irremplaçable de la démocratie pour les sociétés profanes. C'est un signe de santé.

- la prise en charge par des laïcs de tâches pastorales et sacramentelles. Cette organisation moins cléricale de l'Église s'est opérée sous la contrainte: le manque de prêtres. Mais il reste que, sous l'impulsion de Vatican II, les laïcs exercent de plus en plus de responsabilité dans l'Église. Tout baptisé possède la capacité de servir ses frères et soeurs dans des ministères reconnus. Cette pratique entraîne une révision de la théologie du ministère et de celui du prêtre. Mais il ne faudrait pas que les laïcs deviennent responsables que dans les activités de la communauté, car ils ont à jouer un rôle irremplaçable dans le monde. Pour réaliser la mission, ils sont tout à fait nécessaires et indispensables.

Certains craignent que le prêtre perde ainsi le monopole du "pouvoir spirituel". Mais il faudrait redéfinir son rôle ou peut-être ordonner les baptisés qui exercent des fonctions sacramentelles. Les femmes ont une place prépondérante dans la pastorale et la vitalité des communautés. Par leur nombre, c'est évident, mais aussi par tout ce qu'elles peuvent apporter à la mission en tant que femmes, c'est-à-dire de spécialistes de la vie et des commencements. Nous sommes en train d'apprendre que des laïcs et des femmes peuvent avoir des responsabilités de "pasteurs", de "prédicateurs", de "théologiens". Nous avons présentement de plus en plus de prêtres non pasteurs et de plus en plus de laïcs pasteurs.

Dans le domaine dogmatique, je retiens comme signe d'évolution positive:

- l'oecuménisme et le dialogue interreligieux. Cette réalité se voit surtout dans d'autres milieux qu'ici. Mais il reste que nous avons changé nos attitudes à l'égard des protestants et des grandes religions. Dans une ville comme Montréal, qui compte beaucoup d'immigrants non catholiques, cela est important. Aussi il serait nécessaire de mieux comprendre le phénomène des sectes et de se laisser interpeller par ce fait.

- le déclin de la prédication menaçante. La prédication a beaucoup changé depuis 40 ans. On insiste beaucoup plus sur la miséricorde et l'amour de Dieu et on a abandonné l'enfer. On est en train de redécouvrir la "gratuité" de Dieu. C'est un fait important. Nous avons abandonné la pastorale de la peur et de la culpabilité. (cf Delumeau)

Dans le domaine de la recherche de sens. Nous constatons une recherche de sens, exprimée souvent de façon maladroite et en dehors des Églises, et un besoin de spiritualité qui se manifeste par la recherche des pratiques d'intériorisation, une vie plus simple, plus près de la nature. On recherche une expérience de la transcendance. (Cela était clair lors des funérailles de la princesse Diana). On cherche l'expérience de Dieu et non des doctrines ou des credo.

Il y a bien d'autres signes d'espérance dans le monde et dans l'Église. Il serait bon de les identifier en se mettant ensemble, car Dieu nous interpelle par eux. Remarquons que les signes que j'ai évoqués dessinent une certaine vision ou théologie de l'Église. Hors de cette vision, les signes choisis peuvent être interprétés comme un manque de foi et d'esprit d'obéissance à l'Église et comme une recherche exagérée de l'autonomie et de la libération du passé. Il reste qu'il ne faut pas juger notre présent comme trop corrompu. L'Esprit agit dans le monde. Les réussites et les cris du monde peuvent être des appels à l'Évangile. Il est nécessaire d'en tenir compte pour ouvrir à l'Église un avenir prometteur.

COMME CHRÉTIENS, NOUS AVONS LA MISSION DE METTRE EN OEUVRE DES STRATÉGIES DE L'ESPÉRANCE.

J'aimerais terminer par une réflexion sur l'espérance chrétienne et son impact pour la mission. Plusieurs données actuelles sur l'Église, ici au Québec, peuvent nous amener soit à nous résigner et à gérer habilement le déclin de sa décroissance, soit à bien affronter courageusement les défis présents. Edgar Morin dans un article du journal "Le Monde" (21 avril 1993) donne pour objet à l'espérance: l'improbable. C'est une affirmation qui nous fait réfléchir lorsqu'on la prend dans la foi chrétienne. De fait l'improbable, à plus d'un moment de l'histoire, s'est accompli. (Ex.: La chute de l'apartheid au Sud-Afrique, du mur de Berlin).

Aujourd'hui il peut paraître improbable, à vues humaines, que l'Église transforme son organisation du ministère, le ministère papal, qu'elle démocratise sa gestion. Il peut paraître improbable que l'Église d'ici connaisse un nouveau printemps. Et parce que cela semble improbable, on se lance dans des restaurations ou des gestions de la décroissance.

Mais il y a une autre manière de voir la réalité en se permettant de vivre dans l'espérance chrétienne. Nous le savons dans la foi que ce ne sont pas les possibilités humaines encore inexploitées ni la logique des événements qui fondent l'espérance chrétienne, mais l'inespéré qui se joua à Pâques par Jésus qui mourut sur la croix. Pâques ouvre un nouvel horizon. Dieu est celui qui, en Jésus, fait de la mort, lieu du désespoir, le terrain d'où surgit la vie. Les signes que nous avons évoqués, signes d'une certaine libération, laissent entrevoir que l'inespéré peut advenir. Ils sont des lueurs apparaissant dans les marges d'une institution dont la logique est autre. L'avenir se dessine souvent dans les marges d'une institution. Mais ils annoncent des changements qui peuvent arriver si nous avons le courage de la mission, si nous sommes missionnaires et témoins dans l'aujourd'hui du monde. Si l'espérance n'était fondée que sur nos possibilités, l'improbable serait sans cesse différé. Mais un Autre travaille à le faire surgir, il l'atteste dans le signe premier qui nous fut donné: le témoignage que Jésus le Crucifié est ressuscité.

La tentation est grande de nous résigner au déclin de la foi chrétienne. Nous ne pouvons pas nous contenter de ralentir ce déclin et de l'aménager pour qu'il ne fasse pas trop mal. Au contraire, nous avons en héritage le charisme des fondateurs de l'Église canadienne et de plusieurs bienheureux et bienheureuses qui dans un sens ont toujours misé sur l'improbable selon les vues humaines. En se serrant les coudes, en nous encourageant mutuellement, en luttant courageusement contre la médiocrité, en nous mettant à l'écoute du monde, de ses nécessités et de ses souffrances, en nous préoccupant plus de l'Évangile que de notre survie et de celle de nos causes, nous pouvons contribuer à faire surgir une nouvelle réalisation d'Église et à faire entendre en termes nouveaux le message libérateur de l'Évangile. Cet inespéré se réalisera, mais à la condition de vivre la spiritualité de l'Exil et celle de Pâques.

Dans le concret, comment traduire tout cela? Tout d'abord, c'est seulement "en communauté", en acceptant de partir, de quitter Jérusalem, et de mettre en oeuvre de modestes projets, qui comme des semences deviendront de grands arbres. Cette vérité, un autre l'a dite avant aujourd'hui et c'est en lui que nous faisons confiance. Je souhaite que l'Église d'ici arrive à se mettre d'accord pour mettre en oeuvre des projets missionnaires d'allure prophétique, qui exprimeraient notre volonté de changement. À refuser de changer, une institution, fut-elle vénérable, peut en venir à contredire ce qui faisait sa raison d'être. Ce n'est pas par hasard que François d'Assise, le fils d'un commerçant, à l'époque du développement des villes et des voyages, où l'argent l'emporte sur la terre, n'entre pas dans une riche abbaye bénédictine, mais invente les "frères mendiants". Ce n'est pas par hasard qu'Eugène de Mazenod se met à prêcher en provençal aux fidèles de la messe de 6 heures et non dans la langue de Bossuet.

Il est temps de mettre en oeuvre l'un ou l'autre projet mobilisateur. On peut appliquer à mon article la parole célèbre de Paul Valery: "On n'a encore rien fait quand on a seulement exprimé les principes, mais quand on en manque on est condamné à ne jamais rien faire." Les stratégies de l'espérance ne sauraient être assimilées à une opération de "marketing chrétien" destinée à maintenir une institution secouée et inquiète de son avenir. Dans les initiatives que nous prenons, pressés par des urgences, nous sommes une communauté "pauvre", c'est-à-dire qui n'a rien d'autre à donner que ce qu'elle reçoit de Dieu.

Retour à la page d'accueil

Dernière mise à jour 24 aoùt 1998

Page d'accueil | Sommaire | Jubilé | Activités | A retenir | Informations nationales | Informations internationales