SSP 15 décembre 1997
La résurrection de Jésus est, avec le don de
l'Esprit à l'Église, l'élément fondateur
du Salut. L'Église, peuple de Dieu, n'a d'autre raison
d'être dans le monde que celle de proclamer cet événement.
C'est pourquoi la Parole de Dieu tient une place centrale dans
la vie de l'Église particulièrement dans l'assemblée
liturgique. "Le Christ est toujours là dans son Église,
surtout dans les actions liturgiques... Il est là présent
dans sa Parole, car c'est lui qui parle tandis qu'on lit les Saintes
Écritures" (De Sacra Liturgia, #7). Mais comment,
à l'âge de la modernité, parler du salut?
Ce mot a-t-il encore une résonnance dans l'esprit et le
coeur du peuple chrétien d'aujourd'hui?
LE BESOIN DE SALUT
La notion de salut est pourtant un article de foi dans les
trois grandes religions monothéistes et dans certaines
religions orientales comme l'Hindouisme et le Bouddhisme. Ces
grandes religions cherchent à répondre "aux
énigmes de la condition humaine qui, hier comme aujourd'hui,
hantent toujours le coeur humain. Elles proposent, chacune à
leur manière, une voie susceptible de conduire au vrai
bonheur" (Nostra Aetate #1). C'est pourquoi il existe une
sorte d'affinité morale "entre les grandes traditions
religieuses et sapientielles de l'Occident et de l'Orient"
(La Splendeur de la Vérité, #94).
L'Hindouisme, qui s'alimente à une profonde mythologie,
propose plusieurs voies de libération et de salut. En scrutant
le mystère divin, l'être humain se découvre
comme une parcelle du divin, une étincelle de l'Énergie
divine. Il doit se libérer des angoisses de la condition
humaine en adoptant une règle de vie ascétique,
de type normal, et en s'adonnant à une longue et profonde
méditation.
Dans le Bouddhisme, le salut ne vient pas d'un Dieu personnel
ni d'un médiateur, il est le résultat d'une sagesse
intérieure faite de maîtrise de soi, de libération
de ses désirs et de ses illusions. À travers une
série de réincarnations, il conduit au "nirvana",
un état de béatitude dans le grand "Tout"
inconscient.
Dans le Judaïsme, c'est surtout le récit de l'Exode
ou de la sortie de l'Egypte du peuple d'Israël qui fonde
le salut. Le salut est lié à une élection
et à une alliance de Dieu avec Israël; on est sauvé
parce qu'on appartient au peuple élu et qu'on vit selon
la Torah. Ce salut comporte aussi la promesse d'un Messie qui
rétablit la justice et la paix dans le monde. Les juifs
fidèles à l'ancienne alliance attendent toujours
ce Messie promis.
Pour sa part, l'Islam est une religion qui prône la soumission
totale à Dieu désigné sous le nom de Allah.
Son fondateur, Mahomet, est un prophète, non un savant.
C'est pourquoi, au sens strict, l'Islam n'est pas une religion
de salut, mais une religion de rétribution; on est récompensé,
sauvé, parce qu'on a été soumis à
Allah et qu'on a vécu selon les enseignements du Coran.
Il y a toutefois dans l'Islam une doctrine de la résurrection
des morts. Celle-ci n'est pas le fruit d'une méditation
mais d'une attitude d'adoration et de soumission à Allah.
Dans le christianisme, l'humanité est sauvée
par Dieu, en toute gratuité, dans le mystère du
Christ mort et ressuscité. "C'est par grâce
que vous êtes sauvés" (Ep 2,5). Au début
de sa lettre aux fidèles d'Éphèse, saint
Paul dans un élan mystique rappelle les grandes étapes
du plan du salut:
"Qu'il soit béni le Dieu et Père de notre Seigneur, Jésus, le Christ,
en lui, il nous a comblés de bénédictions spirituelles,
il nous a choisis dans le Christ avant que le monde ne fut créé,
il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs,
en lui, par son sang, nous avons le rachat, le pardon des péchés.
Dieu nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté...:
récapituler toutes choses dans le Christ, celles du ciel
et celles de la terre" (Ep 1,3-10).
Le salut chrétien a une dimension à la fois sociale
et politique puisqu'il s'agit d'anticiper sur terre la vie du
Royaume de Dieu dont la charte est inscrite dans les béatitudes
proclamées par Jésus (cf. 5,3-11). Ce Royaume instauré
par Jésus s'étend à toute l'humanité,
que celle-ci en soit consciente ou non. Il déborde largement
les frontières actuelles de l'Église. Il advient
partout où les pauvres sont reconnus dans leur dignité
humaine, partout où il y a partage et solidarité
avec les plus démunis, partout où des souffrants
sont réconfortés. Le Royaume advient encore partout
où la violence est dénoncée et combattue,
partout où il y a une parole de pardon et de réconciliation,
partout où il y a refus de l'exclusion et de la marginalisation
de la personne, partout où des femmes et des hommes oeuvrent
en vue de promouvoir la justice et la paix.
À travers tous ces gestes d'accueil, de bonté,
de compassion, c'est le Royaume de Dieu qui advient partout dans
le monde, à la manière d'une semence qu'un homme
a jetée en terre et qui germe, il ne sait comment (cf.
Mc 4,26-26). "Seigneur, quand nous est-il arrivé de
te voir affamé, assoiffé, nu, étranger, malade,
prisonnier, demanderont les justes au jugement dernier?"
(Mt 25,37-39). Nous connaissons la réponse de Jésus.
Au regard de l'Évangile, c'est dans les gestes les plus
humbles de la vie de chaque jour que se joue la destinée
de tout être humain.
Le salut chrétien a aussi une dimension cosmique. En
effet, "la création attend avec impatience la révélation
des fils de Dieu... Elle aussi sera libérée de l'esclavage
de la corruption, pour avoir part à la gloire des enfants
de Dieu... La création toute entière gémit
dans les douleurs de l'enfantement. Elle n'est pas seule; nous
aussi qui possédons les prémices de l'Esprit, nous
gémissons intérieurement, attendant l'adoption,
la délivrance pour notre corps. Car nous avons été
sauvés, mais c'est en espérance" (Rm 8,19-24).
Ce survol des grandes religions nous révèle que
le besoin de salut est une aspiration profonde et universelle
de l'être humain, toujours en quête de bonheur et
d'un sens ultime à sa vie. Il nous faut constater cependant
une désaffection croissante du christianisme dans les pays
qui ont pourtant une longue tradition chrétienne. Dans
le même temps, la religion islamique et les religions orientales
exercent une séduction de plus en plus forte sur les générations
actuelles du monde occidental. Comment expliquer ce phénomène?
Un élément de réponse pourrait bien se trouver
dans la réflexion quelque peu mordante de Nietzsche au
sujet des chrétiens: "Il faudrait qu'ils aient un
air plus sauvé pour que je crois en leur Sauveur."
Par ailleurs, notre "société sécularisée
n'attend plus de l'Église qu'elle légifère
et édicte des normes concrètes et précises
pour tous, comme au temps jadis de la chrétienté"
(L'éternité si proche, p. 116). Jalouse de son autonomie,
la culture moderne est réfractaire à tout discours
dogmatique et normatif. Il n'en demeure pas moins qu'au coeur
même de cette culture un vide spirituel est ressenti profondément.
Ainsi beaucoup cherchent-ils à combler ce vide en allant
puiser à des sources douteuses, sinon polluées,
ou à des "citernes crevassées" selon le
mot du prophète Jérémie dénonçant
l'apostasie d'Israël. "Ils m'ont abandonné, dit
le Seigneur, moi la source d'eau vive, pour se creuser des citernes,
des citernes crevassées qui ne retiennent pas l'eau"
( Jr 2,13).
NOTE D'AUTEUR
Prêtre du diocèse de Rimouski, l'abbé Lionel Pineau a d'abord oeuvré comme professeur et comme adjoint au secrétaire général de l'Assemblée des évêques du Québec. Il fut ensuite aumônier au Centre hospitalier régional de Rimouski et, par la suite, de la communauté des Filles de Jésus. Il est actuellement à sa retraite.
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