Jérôme Le Royer de la Dauversière
Corinne Laplante r.h.s.j



Jérôme Le Royer de la Dauversière est cet " homme qui a conçu Montréal ", selon ce titre d'un livre de Dom Guy-Marie Oury. Fondateur des Religieuses Hospitalières de Saint-Joseph, il a été un homme d'une " piété éminente ", un homme saisi par Dieu, " voué " à Dieu, mais aussi et surtout un homme d'une foi inébranlable, d'une foi qui " croit à l'impossible et qui entreprend des choses impossibles ". Chez lui, la contemplation s'épanouit toujours en action.

Né à La Flèche en France, le 12 mars 1597, Jérôme a vécu au XVlle siècle, appelé " le grand siècle des âmes ", car s'y lèveront une pléiade de saints personnages. Il s'inscrit dans ce courant spirituel à la fois mystique et apostolique de l'École française, qui suscitera un grand élan missionnaire, à l'origine, entre autres, de l'évangélisation de la Nouvelle-France.

Jérôme Le Royer fait ses études au collège des Jésuites de sa ville et succède à son père dans la charge de percepteur d'impôt. Marié à Jeanne de Baugé, il aura cinq enfants : deux seront prêtres ; une fille, religieuse Visitandine ; et l'autre, Jeanne, entrera dans la congrégation fondée par son père. Congréganiste de la Sainte Vierge, il mène une vie de piété et de charité envers les pauvres. Un jour, il acceptera que ses convictions de foi bouleversent sa vie et lui donnent une orientation nouvelle.


Un dévot et un laïc engagé

Selon des témoins de son temps, la vie familiale de Jérôme se transforme et sa maison même devient une " école de piété ".

À partir de 1630, il sera favorisé de grâces mystiques. Le 2 février de cette année-là, en se consacrant à la Sainte Famille avec sa femme et ses enfants, il entend une voix qui lui commande : d'instituer une congrégation de Filles Hospitalières de Saint Joseph, pour le service des pauvres malades ; d'établir dans l'île de Montréal encore inhabitée un Hôtel-Dieu, desservi par ces mêmes hospitalières ; et de promouvoir la colonisation et l'évangélisation de cette île en Nouvelle-France. Homme de discernement, Jérôme Le Royer se confie à son directeur spirituel, le père Chauveau, jésuite, qui l'invite alors à oublier cette " pieuse chimère ". Il obéit, continue de s'occuper de l'administration de l'hôpital de La Flèche, et le fait réparer.

Sa grande foi et son abandon à la volonté de Dieu se manifesteront de manière éclatante quand les échevins de la ville le désignent pour solliciter les Augustines de Dieppe à venir à La Flèche prendre la direction de l'Hôtel-Dieu. Monsieur Le Royer s'acquitte si bien de sa mission que les Augustines acceptent. Mais quelques mois plus tard, elles se désistent faute de personnel : elles viennent d'envoyer des sœurs au Canada. Alors, les échevins de La Flèche acceptent que l'embryon de communauté commencée par Jérôme et sa collaboratrice, Marie de la Ferre, devienne responsable du soin des malades à l'Hôtel-Dieu. C'était en 1636. En 1643, les constitutions du nouvel institut sont officiellement reconnues par l'Église.


Un esprit apostolique aux dimensions d'un continent

Il faut maintenant mettre en œuvre l'autre partie du mandat reçu du ciel, la plus difficile. Comment, lui, un petit fonctionnaire d'État, responsable de famille, sans influence et sans fortune, pourra-t-il s'acquitter d'une telle mission ? Mais il est un homme de foi. Son petit-fils raconte dans ses Mémoires qu'un jour, Dieu ayant permis à Jérôme de lui demander une grâce, celui-ci lui demande la foi, plutôt que celle de ne pas pécher : " ... ce qui n'est pas l'état de l'homme ici-bas ", répondit-il à son directeur qui s'étonnait de cette demande. La foi lui semblait donc une grâce dont il avait particulièrement besoin dans les circonstances. Il va donc de l'avant. Prudent et obéissant, il consulte à nouveau le père Chauveau pour s'assurer que cette mission est bien de Dieu. Celui-ci lui répond : " N'en doutez pas, Monsieur, ... employez-vous-y tout de bon ".

Son directeur lui conseille de se rendre à Paris se renseigner auprès du père Charles Lalemant, procureur des missions des Jésuites au Canada. Jérôme Le Royer se rend d'abord à l'église Notre-Dame, y assiste à la messe et communie. Pendant l'action de grâces, il a une vision de la Sainte Famille et il entend Jésus demander à sa Mère : " Où trouverais-je un serviteur fidèle ? " En lui désignant Jérôme, Marie répond : " Voici ce serviteur fidèle ". Et Jésus lui dit : " Je vous revêtirai de force et de sagesse... Travaillez fortement à mon œuvre ; ma grâce vous suffit ". Conforté par cette intervention du ciel, il se rend chez le garde des Sceaux pour plus de précisions concernant Montréal. C'est là qu'il fait la rencontre de M. Jean-Jacques Olier. Sans s'être jamais vus, les deux visiteurs se " reconnaissent spirituellement ". Rencontre providentielle s'il en fut, puisque M. Olier a lui aussi reçu du Seigneur, le 2 février 1635, la vocation d'être " une lumière pour éclairer les nations ". Ensemble, ils s'entretiennent de leur commun désir d'évangéliser en Nouvelle-France et décident de fonder une société pour assurer le succès de l'entreprise. Ce sera la société de Notre-Dame de Montréal.

Cette société, composée presqu'entièrement de laïcs, devra d'abord se porter acquéresse de l'Île de Mont-réal qui appartient à un M. De Lauzon. Les membres s'engageront, en devenant propriétaires de l'île, à y fonder une colonie et à y établir : " un séminaire d'ecclésiastiques destinés à la prédication et à la conversion des sauvages ; une communauté de religieuses enseignantes pour l'instruction des filles et un hôpital et des religieuses pour le service des malades ". Le projet de M. De La Dauversière se trouve donc ainsi élargi. Puis, ils consacrent l'île à la Sainte Famille, que ces trois congrégations voudront honorer et dont elles propageront le culte.

Cette " folle entreprise ", comme elle a été appelée, sera financée et soutenue uniquement par la générosité des membres de la Société. À l'instar des premiers chrétiens qui, se disent-ils, nous ont transmis la foi, nous devons à notre tour transmettre cette foi aux habitants de la Nouvelle-France. Leur motif est exclusivement spirituel et suppose un " zèle apostolique à la dimension d'un continent " comme le dit si bien Dom Oury, auteur de la Positio de Jérôme Le Royer de la Dauversière.

Au milieu de difficultés de toutes sortes, le projet se réalisera. M. de Lauzon vendra l'île de Montréal à la Société ; M. Olier fondera les Sulpiciens et enverra quelques-uns de ses fils à Montréal ; l'Hôtel-Dieu sera établi et Jeanne Mance en deviendra l'administratrice, suivie des Hospitalières de Saint-Joseph et Marguerite Bourgeoys y fondera la Congrégation de Notre-Dame pour l'éducation des filles. " Entre-prise de roi " avaient dit les détracteurs de la Société. " C'est le Roi des rois qui s'en mêle " avaient répliqué les Associés dans Les Véritables Motifs qu'ils publièrent pour faire connaître le but proposé.

Ville-Marie a donc été fondée dans la foi et la pure charité. Et Jérôme Le Royer était le responsable des Associés dans la direction et l'exécution de l'entreprise : choix des colons, du gouverneur de l'île, responsable de recueillir les fonds et d'acheter le matériel nécessaire à une colonie naissante. Bref, un travail colossal et épuisant. Il y laissera sa santé et tous ses biens.


Une foi purifiée par l'épreuve

Enfin, en 1659, après bien des oppositions de la part des familles, des religieuses, de l'évêque et des autorités de la ville de La Flèche, M. Le Royer conduit ses Filles à La Rochelle où elles s'embarquent pour Montréal. Très malade, déjà, il retourne péniblement à La Flèche où il doit s'aliter.

Jérôme entre dans sa dernière épreuve. Les malheurs se sont déjà acharnés sur lui : un vaisseau de vivres et de matériel pour la colonie, équipé à ses frais, avait sombré ; il y avait perdu toute sa fortune et laissait sa famille dans la misère ; il agonisait, persécuté par ses parents et même par ses Filles spirituelles, à cause des vœux solennels qu'elles voulaient prendre, contre les vues du fondateur. Intérieurement, ses épreuves de foi étaient si intenses qu'il se crut abandonné de Dieu. Comme pour Job, Dieu avait permis qu'il soit " criblé par Satan ". Mais quelques heures avant sa mort, il goûta une consolation si grande qu'il dut supplier le prêtre qui lui parlait de l'Amour de Dieu de s'arrêter car, dit-il : " Vous mettez le feu partout ". Puis, il expira doucement. " Le juste vit de la foi ", dit l'Écriture. La vie et l'œuvre de Jérôme Le Royer en témoignent vraiment.

La cause de béatification de M. De La Dauversière est en instance à Rome. Puisse-t-il être proposé bientôt comme modèle pour les laïcs engagés de notre temps !

Sœur Corinne LaPlante, de Bathurst (N.-B.), est religieuse Hospitalière de Saint-Joseph. Elle fut pendant de nombreuses années membre du Comité de rédaction de Selon Sa Parole.



Magazine SELON SA PAROLE (QUÉBEC) traitant de questions reliées à la spiritualité, l'évangélisation, l'éducation de la foi et la vie en Église
Selon Sa Parole sept. oct. vol. 27 numéro 4


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Dernière mise à jour 16 octobre 2001

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