La position de l'Église face aux apparitions, visions et révélations
l'abbé Hermann Giguère


Une question

Lors d'un séjour dans une maison de retraites, j'ai eu l'occasion de feuilleter un éventail de périodiques religieux mis à notre disposition. Plusieurs d'entre eux regorgeaient d'articles et de publicités consacrés aux apparitions, aux révélations privées, au merveilleux sous toutes ses formes.

N'est-ce pas là une variante du phénomène religieux qui nous vaut la floraison des sectes, la montée du conservatisme religieux, l'évasion dans le surnaturel, etc. ?

Pour éclairer et bien situer ma réponse à votre question, j'aimerais commencer en regardant la position de l'Église catholique concernant les visions, les révélations et les apparitions de tout genre.

Cette position peut se résumer dans deux grands principes qui doivent toujours guider nos opinions et nos dévotions personnelles dans l'Église.

Le premier principe pourrait se formuler ainsi : Dieu a parlé autrefois, il parle encore aujourd'hui. Mais il y a une différence entre la Révélation transmise par Jésus aux Apôtres et les " révélations privées ou particulières ". La manifestation du Christ aux Apôtres est le fondement de notre foi. C'est pourquoi les apparitions du Christ Ressuscité ne peuvent être mises sur le même pied que les autres apparitions ou révélations. La Résurrection du Christ est un fait fondateur du salut. Quand le Christ ou la Vierge ou un saint apparaît ou parle aujourd'hui à quelqu'un, il s'agit là d'une manifestation de Dieu occasionnelle, limitée, datée dans le temps et le lieu, filtrée par la culture du voyant ou de la voyante. Ces manifestations de la présence divine de même que les révélations qui peuvent les accompagner n'ajoutent rien à la Révélation (avec un grand R).

Le second principe, maintenant. On pourrait appeler ce second principe auquel adhère l'Église catholique la " Loi de l'Incarnation ". En gros, cela signifie que les chrétiens croient que Dieu est devenu Homme ; en Jésus, le Verbe de Dieu s'est incarné, s'est fait chair : il est visible et sensible. Dieu continue de se manifester selon cette loi de l'Incarnation non seulement de façon invisible et spirituelle, mais à travers les signes visibles que sont l'Église, Corps du Christ, les sacrements, les pauvres, les malades etc. (cf. Mt 25). Et selon la même loi de l'Incarnation, il rejoint non seulement le cœur des croyants, mais toutes leurs facultés, intelligence, volonté, mémoire, affectivité, c'est-à-dire tout leur être, âme et corps.

En résumé, la présence de Dieu qui se révèle en Jésus Christ passe par le mystère de l'Incarnation. Le divin et l'humain ne sont pas sur des rails, comme en parallèle, mais indissociablement liés et intégrés. L'expérience de Dieu est toujours une expérience dans la foi. Les apôtres ont vu Jésus; mais, ils ont cru le Christ, écrit saint Augustin. Ainsi, en principe, les manifestations du divin dans la vie des croyants ne causent pas de problème du point de vue de la foi chrétienne.

Nous arrivons maintenant au problème qu'évoque la question, car problème il y a. Quand puis-je dire avec certitude : "J'ai rencontré Dieu ?"

Lorsqu'une personne témoigne qu'elle a vu la Vierge, ou encore lorsqu'elle transmet des messages qu'elle a reçus de Dieu, qu'en est-il au juste ? Comment interpréter ? Comment accueillir ces témoignages ? La crédibilité des personnes ici est des plus importantes. C'est pourquoi l'Église dans son enseignement nous dit qu'une interprétation critique est nécessaire, mais aussi une interprétation dans la foi. Elle ne reconnaît pas directement des apparitions de la Vierge, à titre d'exemple, celles de Lourdes. Mais elle reconnaît le sérieux et la fiabilité des témoignages, des récits que nous en font les voyants ou les voyantes. Elle accrédite, elle certifie la qualité de leur témoignage. Elle n'oblige pas à y croire, à s'y référer pour la conduite de sa vie de foi, à faire sien ce témoignage ou ces messages lorsqu'il s'agit de révélations.

Ainsi les croyants et les croyantes sont libres vis-à-vis les " révélations privées " et les apparitions de toutes sortes. Elles ne font pas partie de la foi de l'Église reçue des Apôtres, telle qu'exprimée dans le Credo ou le "Je crois en Dieu". Le Magistère de l'Église regarde sans cesse vers l'Écriture et la Tradition comme la source de la foi qu'il protège et transmet. Pour le Magistère de l'Église, il n'y a pas d'autres sources. C'est pourquoi, les révélations privées auront toujours dans l'Église une humble place et un statut modeste, selon le mot de l'abbé Laurentin. Les manifestations comme les visions, les apparitions ou les révélations, même lorsqu'elles sont d'authentiques marques de la présence du surnaturel et du divin au milieu de nous, ont une place secondaire et ne doivent pas détourner les chrétiens de la Parole de Dieu et de l'engagement envers leurs frères et sœurs.

Il est malheureux que ces manifestations humbles, même si elles sont plus extraordinaires, attirent parfois davantage l'attention - et l'on peut le déplorer - qu'une vie d'obéissance et d'abandon à la volonté de Dieu, à travers des tâches comme celles d'une mère de famille, d'un étudiant consciencieux, d'un pasteur au cœur de feu, ou encore d'un laïque engagé dans les combats pour la justice.

Les hypothèses évoquées dans votre question peuvent se révéler justes ou erronées selon les groupes de personnes, les régions géographiques ou les périodes de l'histoire.

Dans notre société, la médiatisation des phénomènes qui paraissent extraordinaires suscite une attirance éphémère et même morbide parfois. Dans ce contexte nouveau, la plus grande prudence doit être observée dans la diffusion des messages, des vidéos cassettes, dans les déplacements des voyants et voyantes, etc. Plus on s'adonne à une publicité qui favorise le merveilleux, plus il y a de risques de diminuer le message spirituel et de le rabaisser au ni-veau des chasseurs d'images qui pullulent dans notre civilisation d'aujourd'hui.

Voici, en terminant, une phrase de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, proclamée Docteur de l'Église par le pape Jean-Paul II en octobre 1997, phrase qu'elle répétait à ses compagnes quel-que temps avant sa mort : " Je ne puis me nourrir que de la vérité. C'est pour cela que je n'ai jamais désiré de visions. L'on ne peut voir sur la terre le ciel, les Anges, tels qu'ils sont, j'aime mieux attendre après ma mort " (Derniers entretiens). On pourrait résumer ainsi la position de l'Église vis-à-vis les visions, les révélations, les apparitions, ce que nous désignons sous le terme générique " révélations privées ". Le Magistère de l'Église ne s'intéresse aux apparitions et à tous les autres phénomènes extraordinaires liés parfois à l'expérience mystique, comme chez Marthe Robin et bien d'autres mystiques que pour s'assurer que du côté des personnes impliquées, leur vie et leurs témoignages soient sérieux et que, du côte du contenu, les messages véhiculés ne contredisent pas la foi des Apôtres, contenue dans l'Écriture et la Tradition.

L'abbé Hermann Giguère est professeur à la faculté de théologie à l'Université Laval. De plus, il est membre du Conseil canadien du Renouveau charismatique et conseiller théologique et pastoral pour la revue Selon Sa Parole qu'il a dirigé pendant 20 ans


Magazine SELON SA PAROLE (QUÉBEC) traitant de questions reliées à la spiritualité, l'évangélisation, l'éducation de la foi et la vie en Église
Selon Sa Parole mars-avril 2001 vol. 27 numéro 2


Retour à la page d'accueil

Dernière mise à jour 15 avril 2001
Corrections grammaticales le 20 mars 2007

Page d'accueil| Sommaire|Activités| Informations nationales| Informations internationales| Moteur de recherche