SSP 15 décembre 1997
ENTRÉE EN MATIÈRE
C'EST POUR CELA QUE JE SUIS VENU (Jn 12,27)
Gérard Filion
La foi nous apprend que Jésus est venu pour réaliser
le plan divin du Salut (Rm 8,28-30). L'Évangile apparaît
aussi comme l'heureuse proclamation de l'événement
décisif du salut en la personne historique de Jésus.
La perspective d'un salut dans le sens biblique n'est cependant
guère familière à nos contemporains "qui
n'apprécient que les choses de la terre" (Ph 3,19).
Le "salut" se fonde sur une confiance présomptueuse
dans les possibilités humaines: la rationalité,
le prestige technique, la préoccupation d'un seul bonheur
ici-bàs. On sait où mène, en bien des cas,
un tel sens atrophié de l'existence: au découragement
et à la désespérance.
La foi en Jésus, sans nous détourner des exigences
plus ou moins pressantes du monde présent, ouvre sur un
tout autre horizon. Elle se présente d'abord comme une
vérité qui libère pour un salut à
accueillir sur la voie d'une grâce à recevoir dans
l'humilité et l'espérance; la foi en Jésus
se présente comme une vie centrée sur un Dieu avec
et parmi nous, près de notre expérience concrète;
d'un Dieu qui, dès maintenant, nous donne accès
à son Royaume qui est "justice, paix et joie dans
le l'Esprit Saint" (Rm 14,17).
Ce "Dieu parmi nous", ce Dieu "comme" homme,
historique et incarné, se manifeste "dans" une
vie humaine qui, sans cesser d'être elle-même, se
revêt d'une puissance mystérieuse de délivrance
empreinte d'une compassion qui enveloppe la totalité de
la personne humaine. La "piété" de Jésus
(cf. Mt 15,32) porte sur les affamés, les malades, les
possédés, les prostituées, les esprits abattus
en même temps que sur les voleurs (Matthieu, Zachée)
et sur les démunis de tout genre.
La grâce du salut de Dieu, en vertu des mérites
anticipés de Jésus, s'exerce à partir des
origines du monde et, sans discontinuer, elle demeurera surabondante
jusqu'à la fin (cf. Rm 5,20; 1 Tm 1,14). Le terme "salut"
devient la clef du langage biblique.
Les collaborateurs du présent numéro relèvent
d'autres aspects essentiels de ce Salut qui, à chaque jour
qui passe, se rapproche de nous.
Dans son témoignage, Cécile Allard rappelle que
la puissance et la libération de Jésus s'applique,
comme on l'a souligné, à la personne tout entière.
Si, au plan physique, Dieu l'a préservée de la mort
de manière saisissante, grâce à l'intervention
de Marie, il l'a en même temps soutenue, tout au cours de
sa vie dans son engagement baptismal (cf. 1 Pi 2,21). Sous l'influence
de sa mère, elle a développé un esprit de
prière qui a contribué à approfondir et à
consolider son témoignage de foi au plan professionnel.
Plusieurs parmi nous se souvienne de la formule fameuse: "Hors
de l'Église, point de salut" interprétée
de façon étroite et qui vouait à la perdition
une immense portion de l'humanité. L'abbé Lionel
Pineau rappelle dans son intervention que la préoccupation
du salut distingue les grandes religions monothéiste qui,
chacune à leur manière, propose "une voie susceptible
de conduire au vrai bonheur". Il fait en outre ressortir
la dimension universelle et même cosmique du salut qui "déborde
largement les frontières actuelles de l'Église"
et qui devient présent partout où brille une facette
de la charité. C'est là une conviction qui, grâce
à l'action de l'Esprit, est devenue courante dans l'Église
actuelle et qui donne toute sa force et son ampleur au sacrifice
de Jésus.
Bernard Lacroix manifeste, pour sa part, un sens aigu de la
famille. Il fait passer en douceur de la famille humaine à
la famille divine. Dans le cas de la famille chrétienne,
la notion de salut ne réserve ainsi aucune surprise.
Dès les expériences quotidiennes de la petite
enfance, la réalité du salut apparaît sous
la forme de l'accueil, de la fraternité, du pardon... pour
s'élargir, sous l'influence des "deux grands-mères,
jusqu'à la beauté consolante de la famille trinitaire.
La véritable dimension de salut se réalise ainsi
par la participation des "Trois" qui deviennent, non
pas un objet de croyance (dogme), mais la tendre sollicitude du
salut offert à la liberté de la personne à
chaque instant de sa vie.
Cette manière de présenter le salut comme le
passage sans heurt d'une famille à l'autre comporte un
aspect chaleureux.
Comment enfin les 40% de catholiques qui croient à la
réincarnation peuvent-ils encore dire leur Credo? Il leur
faudrait en sauter une partie fondamentale: la foi en la résurrection
du Christ et de la nôtre. Car "réincarnation"
et "résurrection" se repoussent comme le montre
clairement Michel Côté. Comment en effet confondre
l'entrée éblouissante, corps et âme, dans
la joie inaltérable et éternelle et la transition
grinçante et indéfinie d'une forme d'existence à
une autre? Heureusement que quelques étincelles d'humour
de l'auteur viennent illuminer et adoucir ces réflexions
plutôt débilitantes sur la réincarnation.
Cette forme de "salut" présente une figure bien
rébarbative aux yeux de ceux qui ont une foi vive dans
le Christ Jésus.
À la lecture de ces textes, célébrons
ce salut qui est la victoire par excellence de Dieu et du Christ
pour nous. D'où l'on comprendra mieux que s'impose à
Dieu par delà sa miséricorde" (Saint Thomas
d'Aquin).