SSP 2001 n.3 L'Eucharistie, mystère splendide de la foi. Raniero Cantalamessa

L'Eucharistie, mystère splendide de la foi
Raniero Cantalamessa

Nous avons le bonheur de vous présenter l'homélie du père Raniero Cantalamessa, prononcée au congrès tenu à Ottawa, du 5 au 9 août 1998. Nous remercions vivement Noëlla et Raymond Houde qui ont avec patience tiré le texte entier de la cassette du congrès. Ils ont conservé le langage parlé pour un plus grand réalisme. Toutefois, les titres sont d'eux. Nous vous le présentons en deux parties : la première partie a déjà paru dans l'édition de mars - avril ; maintenant, nous publions la deuxième.


Présence réelle, présence mystique

Après, cela m'est devenu théologiquement très clair. À chaque messe, sur l'autel, il y a deux corps du Christ : le corps réel du Christ, né de la Vierge Marie, mort et ressuscité, il y a aussi le corps mystique du Christ qui est l'Église. Le corps réel du Christ est présent, c'est une présence réelle de ce Jésus, fils de la Vierge Marie, né du Père. Le corps mystique est aussi présent mystiquement, c'est-à-dire grâce à son union indissoluble avec le Christ réel. C'est pourquoi, à chaque eucharistie, nous avons deux épiclèses, deux invocations au Saint-Esprit : la première sur les espèces du pain et du vin pour qu'elles deviennent le corps et le sang réels du Christ réel ; et après la consécration, il y a une invocation de l'Esprit saint sur l'assemblée pour qu'elle devienne le corps du Christ, le corps mystique du Christ.


Un mystère, être eucharistie

Voilà le secret, cela ne regarde pas seulement les prêtres, ça nous re-garde tous. Le Concile a dit qu'à cause de la prêtrise réelle, sacerdotale et royale qu'ont tous les baptisés, ils sont censés pouvoir offrir le Christ et s'offrir avec Lui. Donc, vous aussi, au moment de la Consécration, vous pouvez dire, en silence parce que vous n'avez pas la prêtrise ordonnée et que vous n'êtes pas sensé consacrer le corps du Christ, mais dans votre cœur ou à voix basse, vous pouvez très bien dire, au moment de la consécration : " Prenez et mangez, ceci est mon corps livré pour vous ". Ça, c'est un secret, ça change la manière de célébrer l'Eucharistie, ça fait que nous ne célébrons pas seulement l'Eucharistie, mais nous devenons eucharistie avec le Christ, peut-être eucharistie avec la minuscule et non la majuscule. L'Eucharistie n'est pas seulement un mystère à célébrer, à vénérer, c'est un mystère à imiter : nous devons être eucharistie.


Le corps et le sang du Christ ?

Qu'est-ce que le corps et le sang du Christ ? Si le Christ nous engage à nous offrir avec Lui, comme le dit très bien Paul : " Je vous exhorte, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos corps en sacrifice vivant, agréable à Dieu ". Donc, c'est clair que l'on peut dire à tous les chrétiens : je vous exhorte vous aussi à devenir, vous aussi, des eucharisties, parce que, offrir son corps en sacrifice à Dieu, c'est imiter l'offrande du Christ, l'Eucharistie.

On peut maintenant se demander : qu'est-ce que c'est que le corps ? qu'est-ce que c'est que le sang ? puisque nous sommes appelés à offrir aussi notre corps et notre sang.

Dans notre culture occidentale, le corps est la troisième partie de notre personne, qui avec l'âme et l'esprit forme la personne entière. Mais pour le Christ, le corps c'est la personne entière en tant qu'il vit dans une dimension corporelle. Pour la bible, pour Jésus, le corps c'est la vie vécue. Donc, lorsque le Christ dit : " Ceci est mon corps ", il nous donne sa vie réelle depuis le premier moment où il a été conçu dans le sein de la Vierge Marie jusqu'au dernier moment, avec tout ce qui a rempli la vie du Christ : son enfance silencieuse, ses sueurs, ses fatigues, ses joies, ses tentations dans le désert, ses larmes, ses gouttes de sang au jardin de Gethsémani. Tout ça est compris dans le mot corps, le vécu. Le corps, c'est toute la vie réelle vécue par le Christ. Donc, lorsque nous sommes appelés à nous unir au Christ et à donner notre corps avec Lui, pour les frères, qu'est-ce que nous donnons ? Notre vécu, notre corps : le temps que nous avons, les ressources intellectuelles, morales, physiques. Tout ça, c'est notre corps ; ça fait partie de notre vie, même un sourire.

Le sourire, c'est quelque chose qui est caractéristique de notre corps, parce qu'il n'y a qu'un esprit qui vit dans un corps qui peut avoir un sourire. Les anges, je le regrette pour eux, ne peuvent pas sourire ; ils ont peut-être une autre espèce de sourire plus beau, plus lumineux, mais pour sourire, il faut un esprit et un corps. Les bêtes ne peuvent pas sourire parce qu'elles ont un corps, mais pas d'esprit ; les anges ont un esprit, mais pas de corps. Le sourire, c'est comme ouvrir toutes larges les portes de la maison et de dire à quelqu'un : " Entre dans mon intimité, je t'accepte ". Souvent, un sourire est plus important que de donner un million. Tout ça fait partie de notre offrande.

Qu'est-ce que le Christ nous donne avec le mot " sang " ? Pour nous, le sang est une partie d'une partie de notre être, parce que le sang est un organe de notre corps, la troisième partie de l'homme. Pour la bible, le sang est le siège de la vie ; et pourtant, donner son sang est le signe de la mort !

En nous disant : " Ceci est mon sang ", Jésus nous donne sa mort. Alors, quand on dit aux frères : " Prenez, ceci est mon sang ", qu'est-ce que ça signifie ? Pas nécessairement je vous donne ma mort, mon dernier moment. Je donne tout ce qui dans ma vie est mortification, tout ce qui anticipe la mort : la maladie, les échecs, l'immobilité. Tout ça est matière de l'Eucharistie. C'est pour ça qu'il n'y a pas de vies inutiles parmi les baptisés, les chrétiens. Ceux qui connaissent l'Eucharistie connaissent le secret de la vie. Vous les malades qui êtes devant moi, vous donnez la partie la meilleure au Christ, votre immobilité. Cette immobilité, c'est le sang, c'est la mort, tout ce qui nous cloue, nous immobilise. Une vie eucharistique dans cet état peut être, aux yeux de Dieu, beaucoup plus importante que la vie du plus grand " manager " qui, en un jour, acquiert une société entière, s'il n'a pas la foi.


Comment l'Eucharistie peut changer nos vies ?

Tâchons de voir maintenant comment cette vision de l'Eucharistie pourrait changer notre vie tout entière, une Eucharistie dans laquelle nous sommes invités à nous offrir : le prêtre, comme prêtre, les laïcs, comme laïcs.

Prenons une mère de famille qui célèbre l'Eucharistie et qui au moment de la consécration, en pensant à sa famille, dit : " Prenez et mangez, ceci est mon corps que je veux donner pour vous en union avec le Christ ". Sa vie, sa journée n'a pas de sens aux yeux de l'histoire, ça ne change rien dans l'histoire, mais aux yeux de Dieu, c'est une journée eucharistique. C'est un trésor, c'est une perle ! Il en est de même pour un homme qui célèbre l'Eucharistie puis qui va à son travail. Un prêtre qui commence sa journée d'étude, de rencontres, de ministère en célébrant l'Eucharistie fait que toute sa journée est eucharistique parce qu'il donne son corps.

Prenons les jeunes ! Comme l'Eucharistie pourrait changer leur vie chrétienne, la façon de vivre leur jeunesse. Qu'est-ce que le monde veut des jeunes ? Leur corps ; rien d'autres. Pour l'exploiter, pour en faire un objet de plaisir. Pour un jeu-ne chrétien qui sait qu'il peut consacrer son corps dans l'Eucharistie, qu'il peut dire : Ceci est mon corps livré pour vous, c'est-à-dire de faire de son corps une hostie vivante, ça change. On ne peut pas après utiliser le corps comme un instrument, un objet de plaisir qu'on donne à n'importe qui, pour n'importe quelle cause. Le corps devient quel-que chose de très noble destiné à vivre éternellement. On peut glorifier Dieu par son corps. Il faut le dire aux jeunes, les aider, parce que la pression du monde sur les jeunes est terrible aujourd'hui, irrésistible. Il faut donner aux jeunes quelque chose qui soit plus fort que la pression du monde : le Christ avec son Esprit est le plus fort du monde.


Glorifier Dieu dans nos états de vie

On peut glorifier Dieu avec son corps dit saint Paul. Soit dans le mariage, lorsqu'on fait de son corps un don d'amour pour l'autre, un don fécond de vie. Ça, c'est glorifier Dieu avec son corps. Le mariage est une façon de continuer l'Eucharistie dans la vie parce que le mariage est le sacrement du don, de se faire don, et l'Eucharistie, c'est le Christ qui fait don de son corps au monde.

On peut glorifier Dieu aussi par la vie consacrée, lorsqu'on fait de son corps un sacrifice vivant au service de l'Église, à la gloire de Dieu.

Ça, c'est la vision chrétienne eucharistique. Demandons au Saint-Esprit de nous aider à faire de l'Eucharistie quelque chose qui illumine tout, qui donne la force pour vivre n'importe lequel aspect de notre vie.

Seulement, pour avoir cette force de s'offrir, de prendre pour ainsi dire son corps entre ses mains et dire : " Tiens, je te le donne ", on a besoin pour cela du Saint-Esprit. C'est le Saint-Esprit qui a mis dans le cœur du Christ-homme, ce besoin de faire de sa vie un don au Père, pour le monde.


Donner tous nos grains de riz

Nous aussi, nous avons besoin du Saint-Esprit pour pouvoir faire de notre vie un cadeau. Rappelons-nous bien que tout ce que l'on ne donne pas dans la vie se perd. Tout ce dont on ne fait pas don est perdu. Pour ceux qui ne passent pas à travers l'Eucharistie, qui ne deviennent pas eucharistie, c'est-à-dire dons, tout est perdu.

Le poète Tagore a une poésie très belle : Un mendiant fait le récit de sa journée et dit : J'étais couché au coin de la rue à mendier lorsque j'ai entendu un bruit. C'était le char du prince qui venait. Alors, je me suis dit que c'était ma chance, que j'avais fini de mendier, les aumônes se multiplieront autour de moi ; je n'aurai qu'à ouvrir ma besace pour la remplir. Quel étonnement lorsque le prince passa près de moi et me dit : Qu'est-ce que tu as à me donner ? Quel geste royal ! Tu te fais mendiant pour moi ! J'ai cherché dans ma besace un grain de riz, le plus petit qu'il y avait et je lui ai donné.

Quel étonnement en vidant ma besace le soir ; j'ai trouvé un grain d'or. Quelle déception ! Seulement un ! Quelle tristesse de ne pas avoir eu le courage de tout donner ! Eh bien, que nous n'ayons pas au soir de notre vie à dire la même chose. Donnons tous nos grains de riz au Seigneur pour les retrouver tournés en or à la fin de notre vie.

Le père Raniero Cantalamessa, né en 1934, capucin, a été professeur et directeur du département des Sciences religieuses à l'université catholique du Sacré-Coeur, à Milan et membre de la Commission théo-logique internationale de 1975 à 1981. Depuis 1980, il est prédicateur de la Maison pontificale où il donne une méditation, chaque semaine de l'Avent et du Carême, devant le Pape, les cardinaux et évêques de la curie et les supérieurs généraux des Ordres religieux.

Magazine SELON SA PAROLE (QUÉBEC) traitant de questions reliées à la spiritualité, l'évangélisation, l'éducation de la foi et la vie en Église
Selon Sa Parole mai-juin vol. 27 numero 3


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Dernière mise à jour 10 octobre 2001

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