" Rappelez-vous les premiers temps "

par Raniero Cantalamessa

Le Renouveau charismatique, une grâce pour toute l'Église

Il y a des pays où l'Église est fortement polarisée. D'un côté, il y a ceux que l'on peut diversement qualifier de libéraux, progressistes ou novateurs ; de l'autre, il y a les traditionalistes ou conservateurs. Tout est jugé selon ces critères. ( ... )

Le mot " libéral " dans le monde anglophone, et spécialement aux Etats-Unis, a un sens un peu différent du sens qu'il a ailleurs. Il qualifie ceux qui sont plus ouverts aux choses nouvelles. Parmi eux, il y a ceux dont les positions sont franchement inacceptables et extrêmes. Mais il y a aussi ceux qui s'identifient à Vatican II, qu'ils aimeraient voir mis en pratique un peu plus courageusement au sujet du pluralisme, du dialogue interculturel, ainsi que de la question de la décentralisation. De l'autre côté, en réaction aux choses perçues comme trop novatrices ou sécularisées, s'est développé un courant fortement attaché à la théologie et aux pratiques du passé. Là aussi, il y a tout un éventail, allant d'extrémistes bien connus à des personnes parfaitement équilibrées et remplies de zèle et d'amour pour le Christ et l'Église. Dans des limites raisonnables, ce genre de tension est non seulement légitime mais nécessaire, étant donné qu'aucun individu isolé ne peut réaliser seul les exigences de fidélité et de progrès à parts égales.

" Le Renouveau charismatique s'identifierait-il trop à l'aile conservatrice de l'Église ?

Quel est le danger en ce qui nous concerne ? Que le Renouveau charismatique, qui a été suscité pour le renouvellement de toute l'Église, finisse par être assimilé purement et simplement à une partie de l'Église, la seconde susmentionnée. À la lecture de publications religieuses de divers pays, il m'est apparu clairement que certaines considèrent les mouvements ecclésiaux, y compris le Renouveau, comme étant des forces conservatrices, si ce n'est carrément réactionnaires. Cela est sérieusement dommageable.

Le Renouveau charismatique est un don pour toute l'Église, non seulement pour une certaine partie de celle-ci et c'est ainsi qu'il doit demeurer. En fait, en ses débuts, comme tous les mouvements " prophétiques ", il était considéré comme signe de nouveauté et d'ouverture, une offensive sur plusieurs fronts, y compris la mission œcuménique. En tant que tel, il a été bien accueilli par la hiérarchie catholique et il n'a nul besoin de modifier ses caractéristiques pour devenir acceptable. Le cardinal Suenens qui, pendant des années a été son garant et son porte-parole ecclésiastique, était, pendant et après le Concile, l'un de ceux qui ont démontré le plus énergiquement le besoin " d'aggiornamento " : donnant un impact d'actualité aux pratiques et convictions de l'Église.

Et maintenant, c'est avec une infinie tristesse que je vois que le Renouveau charismatique en est arrivé à être limité à une partie de l'Église seulement et considéré par les autres comme quelque chose d'étranger, qu'ils se sentent pleinement justifiés de tenir à distance. Permettez-moi de répéter que le Renouveau charismatique a été suscité pour renouveler l'Église entière et pas seulement une partie de celle-ci. Lorsque je dis " l'Église entière ", je veux dire, bien sûr, l'Église qui se situe dans le grand courant de l'orthodoxie et du magistère, qui est disposée, si nécessaire - d'un côté ou de l'autre - à se soumettre dans l'obéissance à l'autorité correspondante (l'évêque ou le pape selon le cas), mais pas avant d'avoir porté un témoignage prophétique des buts chers à son cœur, selon la sûre dialectique qui a toujours été la force de l'Église catholique et à la base de sa capacité d'autorenouvellement.

" Danger de piétisme

Le second danger est le piétisme. Là aussi, nous devons nous rappeler comment cela a commencé. Le Renouveau charismatique est né avec un puissant dynamisme de retour à l'essentiel de la vie chrétienne : l'Esprit saint, la Seigneurie du Christ, la Parole de Dieu, les sacrements, les charismes, la prière, l'évangélisation. Voilà le secret de sa puissance explosive.

Cette caractéristique du Renouveau est clairement manifestée par le fait qu'il n'y a pas de fondateurs reconnus, ni de spiritualité particulière, mais simplement qu'il accentue ce qui devrait être commun et " normal " pour toute personne baptisée.

Voilà ce qu'a été mon expérience personnelle et, j'en suis sûr, celle de beaucoup d'entre vous. La Bible devient une Parole vivante, respirée par Dieu et respirant Dieu, comme le disait saint Ambroise, à la fois " inspirée et inspirante ". Une définition du Renouveau donnée par quelqu'un dans ses premiers temps et qui m'a toujours frappé comme étant la plus vraie : " Rendre le pouvoir à Dieu ! " Ce qui nous a convaincus, c'est que nous nous trouvions clairement en présence de la sainte action de Dieu. Dieu présent et agissant dans l'histoire ! C'était le miracle qui remplissait toujours d'émerveillement les prophètes bibliques, les faisant sauter de joie : " Cieux, criez de joie ! Car Yahvé a agi. Triomphez, profondeurs de la terre " (Is 44, 23).

" Retour au fondement

Redonnons à nouveau à l'Église ce goût pour ce qui est essentiel. L'œuvre fondamentale de l'Esprit saint est son action sanctifiante (cf. Th 2, 13 ; 1 P 1, 2), par laquelle il transforme les êtres humains, leur donnant un cœur nouveau, non pas le cœur d'un esclave, mais le cœur d'un enfant de la famille de Dieu. Ensuite, il y a son action charismatique, par laquelle il distribue une variété de dons pour le bien de la communauté. C'est ce qu'il fit à la Pentecôte : il transforma les apôtres en faisant des hommes nouveaux, puis il les fit parler en d'autres langues et prophétiser et, à tous, il donna les dons dont ils auraient besoin pour leur mission.

Dans le Renouveau charismatique aussi, nous devons respecter cette hiérarchie : la sanctification personnelle doit venir en premier et seulement ensuite, à la seconde place, l'expérience des charismes. L'Esprit saint n'a pas seulement pour but de nettoyer la robe de son Épouse, l'Église. Sa première intention est de renouveler son cœur.

Pourquoi est-ce que j'estime nécessaire d'évoquer ces choses ? Je crois que les paroles de la Lettre aux Hébreux sont adressées à nous aussi : " Souvenez-vous des premiers jours... Ne perdez donc pas votre assurance.... " (Hb 10, 32-35). Le Renouveau charismatique et le catholicisme en général encourent le risque d'être à nouveau envahis et alourdis, après les grands efforts du Concile pour rétablir la simplicité et l'essentiel dans la doctrine et la pratique. Dans bien des domaines, par exemple la dévotion à Marie ; le Concile chercha à ramener la pratique catholique à une sobriété perdue au cours des siècles, spécialement pendant la période de la Contre-Réforme.

" Les excès de piété mariale, danger pour l'unité des chrétiens

Petit à petit, nous avons vu ce fruit du Concile se perdre. Il y a eu un retour à une insistance excessive pour ce qui est facultatif. Le Renouveau charismatique lui-même a été aspiré dans ce tourbillon, à tel point qu'en certains lieux il est devenu identifié, simplement par association, à certaines dévotions, apparitions, individus et messages particuliers. Certaines de ces choses sont par elles-mêmes tout à fait valables et un signe de la richesse de l'Église catholique, mais elles nécessitent d'être maintenues à l'intérieur de leur propre sphère et non imposées à tout le monde pour mesurer le degré plus ou moins grand de leur " catholicité ".

Il n'est pas question d'une prise de position contre aucune de ces choses. La question est de savoir si le Renouveau charismatique doit être caractérisé par ces sortes de choses ou par d'autres. Nous avons déjà tout ce qu'il nous faut pour nous sanctifier et pour répandre l'Évangile. Même en ce qui concerne la dévotion à Marie, si nous prenions au sérieux et approfondissions notre appréciation de ce que l'Écriture et la Tradition dogmatique et liturgique de l'Église ont à offrir (par exemple le titre de " Mère de Dieu "), nous serions en mesure de lui faire tous les honneurs que nous désirons, sans sentir le besoin de se précipiter à la recherche du dernier message ou de la dernière apparition. Ainsi, nous rendrions notre dévotion à Marie plus acceptable aux autres chrétiens et nous hâterions le jour où, au lieu d'être un sujet de division, Marie deviendrait un facteur positif pour l'unité des chrétiens. (L'harmonie entre ses enfants n'est-elle pas ce qu'une mère désire le plus ?)

Notre tâche en tant que guides spirituels est d'aider nos frères et sœurs à être ouverts aux grands mystères de la foi et à ne jamais s'enfermer dans aucune dévotion éphémère, qui ne pourra jamais servir à réévangéliser le monde. Se concentrer sur l'essentiel ne veut pas dire priver les fidèles de tout espace pour la libre expression ou toute référence personnelle, et de tout réduire à une terne uniformité. Il y a certainement place pour cultiver aussi sa dévotion personnelle mais qui doit être maintenue dans la sphère privée. Nous ne devons pas confondre ce qui est demandé à tous avec des choses laissées au choix de chacun.

" La puissance de l'Esprit saint toujours aussi forte

Je voudrais terminer par une note encourageante. En certains lieux, on estime que le Renouveau charismatique est au point mort, ou en recul, son enthousiasme et ses effectifs en baisse. C'est vrai et c'est normal pour un mouvement de ce genre. Ils ne sont pas destinés à devenir des institutions mais, comme l'a dit un jour feu le cardinal Suenens, à transmettre une impulsion, " un courant de grâce " puis, si nécessaire, de disparaître, comme une charge électrique dispersée dans une masse de matière. Toutefois, un facteur demeure identique aujourd'hui à ce qu'il était aux premiers temps du Renouveau charismatique, c'est la puissance de l'Esprit saint. " Le bras du Seigneur n'est pas raccourci ! " Nous le voyons accomplir aujourd'hui, en ceux qui prennent contact avec lui pour la première fois, exactement les mêmes effets que dans les premiers temps. Chaque fois que nous le laissons agir, chaque fois que nous procurons des occasions appropriées pour sa venue, que les personnes se réunissent au Cénacle avec une foi pleine d'attente, il vient. J'ai eu très récemment l'occasion de revoir cela. Chaque fois, c'est tout un monde nouveau qui s'ouvre devant la personne qui le reçoit.

Les signes visibles de la venue de l'Esprit sont généralement la renaissance du courage, de l'espérance et de la joie. Même dans l'opinion du monde en général, le Renouveau charismatique est perçu comme un mouvement de personnes joyeuses qui battent ou lèvent les mains, qui semblent transformées, avec des visages souriants, presque extatiques. Ce n'est pas une perception erronée. La joie est en fait l'un des signes ou fruits de l'Esprit. J'espère que nous allons tous cultiver ces signes : courage, espérance, joie ; et éviter les dangers sur lesquels j'ai essayé d'attirer votre attention. (Si le ton que j'ai employé a été quelque peu désinvolte, je vous prie de me pardonner).

Que l'Esprit saint nous aide à porter en nous la flamme de Pentecôte au cours du nouveau millénaire, afin qu'elle puisse continuer à transformer la vie des hommes et des femmes de notre époque et les amener au Christ !

Le père Raniero Cantalamessa, né en 1934, religieux capucin, a été professeur et directeur du département des Sciences religieuses à l'université catholique du Sacré-Coeur à Milan et membre de la Commission théologique internationale de 1975 à 1981. Depuis 1980, il est le prédicateur de la Maison pontificale où il donne une méditation, chaque semaine de l'Avent et du Carême, devant le Pape, les cardinaux et évêques de la curie et les supérieurs généraux des Ordres religieux.



Magazine SELON SA PAROLE (QUÉBEC) traitant de questions reliées à la spiritualité, l'évangélisation, l'éducation de la foi et la vie en Église
Selon Sa Parole novembre-décembre vol. 26 numéro 5


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Dernière mise à jour 22 décembre 2000

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