Saint Antoine Daniel
Paul-Émile Vignola
«
Envoyez-nous des gens de cœur, des hommes qui ne s'effrayent pas à la vue des
mille morts qu'il nous faut souffrir en cherchant les sauvages dans leurs
tanières, au fond des grands bois. » Voilà ce qu'écrivait en 1633 le Supérieur
des missions huronnes à son Provincial jésuite. Le père Antoine Daniel, un
homme de taille moyenne, mais à l'aspect énergique, à l'œil vif, au geste net
et décidé, débarqué à Québec en juin 1633 répondait admirablement à ce souhait.
Antoine
était né à Dieppe le 27 mai 1601 au sein d'une famille à l'aise et de race
vaillante ; un de ses frères, capitaine de vaisseau, s'illustra en 1629 dans le
golfe Saint-Laurent pendant la guerre contre les Anglais. Les garçons de son
temps, face à la mer immense et du haut des falaises de leur pays, rêvaient de
découvertes et d'expéditions lointaines. Antoine, pour sa part, ne désirait
rien de plus que d'annoncer l'Évangile aux populations de cette Nouvelle France
que ses compatriotes partaient explorer et coloniser ; « il semblait n'être né
que pour le salut de ces peuples et n'avoir point de désir plus violent que de
mourir pour eux ». Après avoir fréquenté le collège des Jésuites de sa ville,
il consacra deux ans à l'étude de la philosophie et un troisième au droit. En
octobre 1621, âgé de vingt ans, il entra au noviciat de la Compagnie de Jésus.
Au terme d'une formation qui comprend des temps de probation, d'enseignement et
d'études, il est ordonné prêtre en 1630 et passera encore deux ans comme
professeur dans un collège où il côtoie le père Jean de Brébeuf, un vétéran déjà
de l'apostolat auprès des Hurons. En 1632, nommé à la mission du Canada, il
s'embarque dans les meilleurs délais à bord d'un bateau commandé par son frère
Charles, le héros de 1629.
Le père
Daniel débarqua à Tadoussac où il passa l'hiver. En juin 1633, il remonta le
Saint-Laurent jusqu'à Québec où il rejoignit le père de Brébeuf. Les
tractations difficiles avec les chefs de tribus ne permirent pas aux
missionnaires de gagner dès cet été-là le pays des Hurons. Le père Daniel
assuma le service pastoral à la chapelle Notre-Dame de la Recouvrance qu'on
venait d'édifier en reconnaissance pour le retour de la colonie à la France. En
1634, les Indiens, venus en petit nombre pour la traite des fourrures, ne
semblaient guère plus empressés à recevoir les Jésuites. Après les avoir
comblés de présents, s'être engagés à n'apporter que le minimum de bagages et à
« faire les portages », les pères Brébeuf et Daniel partirent pour la Huronnie.
Le voyage, comportant moult dangers, fut épuisant et pénible. Les missionnaires
durent ramer, marcher pieds nus dans les portages et se contenter des maigres
rations de farine cachées par les indiens à leur voyage « aller » et qu'ils ne
retrouvaient pas toujours... Le père Daniel parvint chez les Hurons le 15 août
après avoir bien failli crever de faim.
Le
père de Brébeuf maîtrisait déjà le huron. Le père Antoine entreprit de se
familiariser avec la langue et le mode de vie des indiens. Le régime
«d'immersion totale » et les leçons du père de Brébeuf lui permirent de rapides
progrès. En peu de mois, il parvint à traduire le Notre Père, l'Ave Maria et
diverses prières sous forme de cantiques qu'il chantait d'abord seul, que les
autres reprenaient ensuite pour entraîner avec eux les hurons curieux,
principalement les petits enfants. S'habituer à la nourriture ne constituait
pas une mince épreuve. Elle se composait de farines détrempées, de petits
fruits et de racines auxquels s'ajoutaient éventuellement du poisson et de la
viande de gibier ; à la rigueur on aurait pu se satisfaire de cette diète bien
fade si elle n'avait été d'une malpropreté repoussante. Peu à peu, il se fit
huron avec les hurons.
En
1636, on projeta d'envoyer à Québec de jeunes hurons pour les instruire et en
faire des catéchistes pour leur peuple. On en choisit douze, mais au moment du
départ, trois seulement s'embarquèrent. Une expédition de dix canots chargés
d'une belle cargaison de fourrures prit la direction de Québec. En chemin, une
peuplade voulut les rançonner ; le père Daniel dut déployer toute son habilité
diplomatique pour obtenir le passage. Ses études de droit l'avaient-elles rompu
à l'art de la plaidoirie ? Après un mois de voyage, il arrive à Trois-Rivières
le 19 août.
L'auteur
des Relations de 1636 en donne le portrait suivant : « Pieds nus, l'aviron à la
main, couvert d'une méchante soutane, son bréviaire pendu au cou, sa chemise
pourrie sur le dos, la face défaite, mais joyeuse pourtant... »
Le
père Antoine se disposait à son rôle de professeur de ses jeunes élèves. Or
deux des trois recrues, prises de nostalgie, repartirent avec les canots vers
leur pays. Peu après, cinq autres jeunes Hurons rejoignirent le « séminaire
indigène ». En dépit de toute la bonté et du dévouement déployés, il n'en
restait que deux en fin d'année. Il s'en ajouta trois autres en 1637, mais ils
cherchaient surtout une vie oisive et bien nourrie... Cela nous découvre la
difficulté de la tâche entreprise.
En
1638, les nouvelles provenant de la Huronnie se faisaient alarmantes ; une
assemblée de chefs avait alors décidé d'exterminer les missionnaires, sans
toutefois passer aux actes. Le gouverneur français décida de mander une
expédition. Deux séminaristes hurons se portèrent volontaires pour cette
mission. On leur adjoignit le père Daniel qui quitta Québec pour n'y plus
revenir. Le voyage s'annonçait périlleux car, au début du printemps, la crue
des eaux rendait la navigation difficile et dangereuse. Dès le premier portage,
le missionnaire fut distancé par ses compagnons plus jeunes et insouciants.
Parti le matin sans avoir mangé, il marcha tant qu'il put par une chaleur
torride et s'évanouit de faiblesse. Il reprit conscience, trouva quelques
groseilles sauvages à se mettre sous la dent, mais il retomba vite. Ses compagnons
revinrent vers lui, le firent boire et le soutinrent jusqu'à une bourgade
voisine où, malade à mourir, il dut prendre du repos. Ils repartirent le 11
juin et parvinrent à destination le 9 juillet.
Le
père Daniel devait passer les dix années suivantes en pays indien. Il demeura à
la résidence de Conception en 1638 et 1639. En 1640, il ouvrit avec le père Le
Moyne une nouvelle mission à Saint-Jean-Baptiste où leur zèle missionnaire
semblait beaucoup mieux accueilli et apprécié. On administra plusieurs
baptêmes. Or éclata une de ces épidémies fréquentes dans ces populations qui
ignoraient tout de l'hygiène ; les sorciers jaloux en attribuèrent la
responsabilité aux Robes-Noires. Notre Antoine se rendit devant le conseil des
Anciens et il parvint à convaincre les « sages » qu'on l'avait calomnié.
Devait-il sa force persuasive à ses études de droit ? Ne reçut-il pas plutôt
l'assistance de l'Esprit selon la promesse de Jésus: « Quand on vous
conduira devant les autorités, ne vous inquiétez pas de la manière dont vous
vous défendrez, car le Saint Esprit vous enseignera à ce moment-là ce qu'il
faut dire ? » (Lc 12, 11-12).
Le 27
septembre 1640, notre missionnaire fit sa profession solennelle. On en conserve
le précieux document écrit de sa main, relique sans prix. L'apostolat
missionnaire se poursuivait, ingrat et jamais exempt de périls. On rapporte
qu'en 1641, le père Chaumonot n'échappa à la mort que grâce à la prompte et
vigoureuse intervention du père Daniel qui arracha des mains d'un Huron furieux
la hache dont il avait déjà assommé le Jésuite.
Alors
que la patience des missionnaires commençait à porter fruit et les conversions
à se multiplier, la guerre avec les Iroquois prit de l'ampleur. Les années 1646
et 1647 furent pénibles ; on déserta les villages à la périphérie du pays pour
regrouper les gens au centre de la Huronnie. Infatigable, le père Daniel se
dépensait sans compter au milieu des dangers nouveaux liés à la guerre. En
1648, il se prépara sereinement au martyre qui pouvait survenir d'un jour à
l'autre. À la fin de juin, il eut le bonheur de faire sa retraite annuelle : il
se retrempa huit jours dans la prière et fit une confession générale, la
dernière de sa vie. Le 2 juillet, il quitta ses confrères et rentra à sa
mission de Saint-Joseph qui comptait environ deux mille âmes.
Le 4
juillet, pendant la messe, on signale une attaque des Iroquois. L'église se
vide, les uns courent au combat, les autres cherchent un abri. Le père termine
la célébration, cache les vases sacrés et se précipite pour soutenir ses
ouailles. Plusieurs guerriers étaient absents ; l'ennemi l'avait su et tirait
profit de cet avantage. Les Iroquois venaient juste d'enfoncer la palissade de
protection du village. Le missionnaire va dans les maisons où des malades
attendaient le baptême. Il baptise, distribue des absolutions et revient vers
l'église où s'est réfugiée une foule haletante et apeurée. Là encore, il donne
les sacrements. Voyant les ennemis avancer vers l'église, il incite tout ce
monde à fuir et, pour leur gagner du temps, il se dirige à la rencontre des
Iroquois. Ceux-ci, voyant la Robe-Noire marcher vers eux, sans armes, sont
d'abord stupéfiés ; pareil courage leur en impose... N'osant pas le toucher,
ils le criblent de flèches puis ils l'abattent d'un coup d'arquebuse. Une fois
certains qu'il a expiré, ils s'acharnent à mutiler son corps qu'ils jettent
ensuite dans l'église en flammes.
Dans
la bourgade dévastée, on ne trouva trace du missionnaire. Le vent avait
dispersé sur le pays huron les cendres de saint Antoine Daniel, consumé dans
son église, au pied de l'autel.
Magazine SELON SA PAROLE (QUÉBEC) traitant de questions reliées à
la spiritualité, l'évangélisation, l'éducation de la foi et la vie en Église
Selon Sa Parole janvier-février vol. 28 numéro 1
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