Rêve, utopie

et espérance

 

l’abbé Jean Brassard

 

 

La perspective même de la revue Selon Sa Parole et le service qu'elle rend au Renouveau charismatique nous invite à comprendre certaines réalités que nous imposent le langage et ses distinctions pour mieux voir comment l'action de l'Esprit se dessine dans notre vie.

 

Ainsi la vie chrétienne perçue à partir de l'espérance permet pour tous les croyants, de mieux reconnaître la nature de la promesse de Dieu pour l'humanité. L'espérance nous unit avec la perspective même que nous dépassions notre finitude pour atteindre notre finalité.

 

Nous essaierons davantage de retrouver sur le plan de la spiritualité les éléments qui composent notre manière d'aborder l'espérance. Si quelquefois, on peut la confondre avec cette dernière, l'utopie nous parle un autre langage. C'est essentiellement une construction et une transcription laïques de l'espérance. Dans son article du Dictionnaire de spiritualité, Giannino Piana nous propose de comprendre l'utopie (1) comme:

une désacralisation, une prise de conscience que l'homme peut et doit se suffire à lui-même et que les dieux l'ont abandonné... La conscience utopique correspond à deux tendances profondément enracinées dans l'esprit humain : la curiosité envers l'avenir et le besoin d'espérer. Ces tendances exigent l'invention d'une image du futur, sans laquelle l'homme ne peut accepter l'aujourd'hui dans son obscurité.

 

Donc l'utopie peut prendre plusieurs formes, tout en demeurant dans une perspective de l'histoire. Si elle peut avoir une tendance spiritualisante, elle prend davantage la forme de la raison humaine. Dieu est normalement absent de l'utopie telle qu'on la définit aujourd'hui. Le mot construit par Thomas More à partir du grec « », non et « topos », lieu soit non-lieu, signifie selon Le Larousse :

Construction imaginaire et rigoureuse d'une société qui constitue par rapport à celui qui la réalise un idéal total. (HUXLEY Aldous, Le meilleur des Mondes ; ORWELL Georges, 1984 ; MORE Thomas, L'Utopie).

 

L'utopie peut prendre différents visages par rapport au problème social envisagé et dans les propositions de solutions envisagées. Les solutions peuvent prendre l'allure des constitutions politiques, de la structure sociale, de la race idéale, de l'être humain parfait ; elle peuvent trouver preneur dans la solution technologique, dans l'organisation du travail, dans la domination de la nation sur l'individu ou vice-versa. Ce que la littérature écrite a fait de l'utopie, le cinéma et les arts visuels l'ont aussi abordée.

 

Mais revenons à Thomas More qui nous a proposé dans son Utopie une critique des institutions politiques au nom du christianisme. Il utilise alors les valeurs évangéliques et chrétiennes pour critiquer l'exploitation des humains par les humains. Son imaginaire fondé sur ces valeurs lui permettra d'inventer avec un certain réalisme une autre forme de société. Réinterprétant Platon et Augustin, il se sert d'eux sans les citer pour décrire ce pays, plein des valeurs chrétiennes, qui s'oppose au Prince de Machiavel.

 

L'image de l'utopie de More me revient aussi à chaque fois que je relis et médite les très beaux textes d'Isaïe aux chapitres 11 et 35. Spinsanti écrira :

Le thème utopique de la Cité parfaite, future et déjà présente de la Jérusalem céleste, traduit le contenu essentiel du kérygme chrétien. Dieu a créé en Jésus Christ le passé auquel le croyant peut se référer et l'avenir qui lui est permis d'atteindre. Le lieu utopique du salut devient donc, dans le message chrétien, la personne du Christ et son œuvre. L’ « économie » de Dieu - le plan secret depuis les origines, révélé progressivement dans le temps par l'intermédiaire des prophètes et réalisé dans le mystère de l'incarnation - trouve sa manifestation pleine et entière dans le Christ et dans la communauté des disciples (2).

 

Une autre perspective de l'utopie trouve son développement dans la théologie même de Teilhard de Chardin qui allie pensée symbolique et scientifique dans sa perspective du Christ cosmique.

 

Le même auteur nous apporte un éclairage particulièrement intéressant quand il affirme que l'utopie agit au niveau communautaire et dynamique. «Toute religion, dit-il, doit laisser place à la nouveauté charismatique, qui assurera un éveil périodique et combattra les tendances à la sclérose. »

 

En termes théologiques, le promoteur de l'utopie au sein de la communauté chrétienne est l'Esprit saint. Selon la promesse du Christ, l'Esprit communiqué par Lui et par le Père guide les disciples vers la plénitude de la vérité. Dans l'Église, personne ne possède cette plénitude comme un bien statique. Elle est réfléchie dans les charismes comme la lumière solaire se réfracte dans le prisme en un arc-en-ciel multicolore. Les dons divers sont parfois diamétralement opposés, jamais réductibles l'un à l'autre (3).

 

Comme on le sait, l'Esprit saint ne se laisse pas enfermer dans une logique de l'histoire et ce que nous nommons utopie peut devenir facilement son champ d'exercice.

 

Si, parfois de manière très scientifique, on ose affirmer que les possibilités de l'être humain ne sont pas toutes développées, comment pourrions-nous, en contrepartie, affirmer que l'Esprit saint a atteint ses limites. Les charismes qu'Il suscite ne sont-ils pas le pâle reflet de sa réalité tout entière. Je crois personnellement que les efforts de la théologie de la libération et de la théologie politique sont des manières de répondre à l'utopie marxiste et même à celle de la psychanalyse.

 

Chaque personne a ses rêves dans le sommeil ou en vigile. Les rêves font davantage appel à notre imaginaire qu'à notre raison, comme c'est le cas pour l'utopie. Fondés aussi sur le désir, ils ne veulent pas changer le réel, mais ils l'interprètent ; ils sont soit dans l'ordre du passé dont ils font la relecture à partir du présent ou une projection dans l'avenir du sujet rêvant.

 

 

Le promoteur de l’utopie
au sein de la
communauté chrétienne
est
l’Esprit Saint.

 

 

Le rêve est centré autour du moi et de la réalité individuelle. Il ne cherche pas à devenir une solution pour l'avenir, et ne concerne pas d'abord l'autre et les autres. Il n'a pas comme fondement un concept social ; il se veut une manière de relire ma place dans le monde de désirer comme « un idéal un peu chimérique, se laisser absorber par la représentation imaginative de la réalisation d'un grand désir (4) ».

 

Le rêve agit comme ma projection dans un avenir que je construis au-tour de moi. Il me libère personnellement des contraintes que la vie quotidienne m'impose pour me permettre un répit dans un monde dont je prends le contrôle au profit de mon équilibre individuel. Il n'est pas dans l'ordre du révélé mais en utilisant le langage de la symbolique, il transporte ma réalité ailleurs et, par ses symboles, il revêt une portée universelle. S'il est universel dans ses symboles, il demeure culturel dans sa lecture et son interprétation. Le rêve est fait d'images ou de suites d'images qui semblent m'enlever les contraintes dont je suis victime ordinairement.

 

C'est à partir de ces éléments que j'aborderai un second article, celui de l'espérance. Tout en reprenant des éléments du rêve et de l'utopie, nous verrons que l'espérance est essentiellement eschatologique et que son association à la foi nous laisse comprendre le très beau mot de Péguy :

 

« La foi que j'aime le mieux, dit Dieu, c'est l'espérance. »

 

 

L'abbé Jean Brassard est répondant pour le Renouveau charismatique du diocèse de Chicoutimi. Il est modérateur des paroisses Notre-Dame-d'Hébertville, Saint-Wilbrod et Saint-Bruno. Il est aussi membre du Conseil canadien du Renouveau charismatique et collaborateur à la revue Selon Sa Parole.

 

1. Dictionnaire de spiritualité, Article Espérance, Paris, Le Cerf, 1983, pp. 327-335.

2. Dictionnaire de spiritualité, Article Utopie, Paris, Le Cerf, 1983, p. 1157.

3. Id. p. 1158. 4. FOULQUIÉ Paul, Dictionnaire de la langue philosophique, PUF, 1969, p. 641.

 

 

 

Magazine SELON SA PAROLE (QUÉBEC) traitant de questions reliées à la spiritualité, l'évangélisation, l'éducation de la foi et la vie en Église

Selon Sa Parole janvier-février vol. 28 numéro 1

 

Retour à la page d'accueil

Dernière mise à jour 10 février 2002

Page d'accueil| Sommaire| HREF="act5.htm">Activités| Informations nationales| Informations internationales| Moteur de recherche